26 mars 2010

Ma réalité perdue


J’écris de plus en plus. Et plus j’écris, plus je me détache de la réalité. Si bien qu’aujourd’hui, je patauge nerveusement dans mes propres fictions, ne sachant tracer de fine ligne entre le faux et le vrai. 

La réalité que je connaissais autrefois me semble aujourd’hui lointaine, inconnue et intouchable. Elle glisse sur mes joues comme un vent d’automne. Je sais percevoir les effets qu’elle me propose et les sensations que j’aurais pu ressentir si j’étais resté chez elle, mais je l’ai quittée depuis trop longtemps déjà. La réalité demeure à des kilomètres de moi-même. Il y a, entre elle et moi, la montagne de mes mensonges ; le précipice de mes fautes ; et à travers tout ça, le déshonneur de ma culpabilité.

J’ai tenté maintes fois de lancer des chaînes, des crochets, et de fixer le cou de la réalité une fois pour toutes. Mais les monstres que j’ai créés au fil des années sont tous contre moi. Ils s’efforcent de libérer la réalité afin de vivre encore. Comme s’ils ne savaient vivre qu’à condition qu’elle soit morte. Je ne peux pas les blâmer : je ferais de même ; il ne faut pas se le cacher, je serai toujours le premier de mes monstres.

Depuis 7 ans, chaque soir, je pleure la perte de cette réalité. Je caresse les murs sans les toucher. Je bloque la lumière des ampoules avec mes pieds. Parfois, quand je sors dans la rue, je vois de lointains passants. Ils marchent à des kilomètres de moi. Je m’amuse à placer leur tête entre mes doigts. Même si mes mains ne quittent jamais mon visage, j’ai l’impression qu’une partie de leur réalité m’appartient. 

Lorsque je me couche, avant de m’endormir, je repense à l’époque où les fictions n’avaient encore aucune emprise sur moi. À huit ans, ma réalité était claire et ma vision l’était autant. J’allais à l’école et j’avais des problèmes à régler. Aujourd’hui, je me rends compte que je suis l’auteur de mes propres problèmes. Quand bien même j’essaierais de me départir de mes monstres, leur pouvoir sur moi est trop fort. Ils forment à eux seuls un monde que je dois conserver, sans quoi je mourrais. 

Certes, je pourrais abandonner mes monstres, mais je ne pourrais le faire qu’à condition que la réalité me rattrape par la suite. Ce serait un peu comme sauter d’une liane à une autre. Je n’ose rien risquer. Je ne peux pas faire confiance à la réalité. Il y a si longtemps déjà que je l’ai délaissée... Je ne vois pas pourquoi elle accepterait de me reprendre. J’ai été un salaud. Je l’ai malmenée. 

Au fil des ans, j’ai bu tant de bières... J’ai fumé tant de drogues... J’ai pris tant de poids... La réalité ne veut plus de moi. Si seulement elle m’accordait une petite place, je la gâcherais aussitôt. Je la déchirerais par l’énormité de mes vices. Je préfère encore dormir parmi les monstres... Une nuit de plus. Et si, demain matin, la réalité m’approchait et m’invitait solennellement chez elle, je jure que je ferais le ménage dans ma vie. 

Je commencerais d’abord par tuer le premier de mes monstres. Ensuite, je suis sûr, j’aurais de la réalité plein la face.

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