26 mars 2010

Le squelette écrivain


J’écrivais à ne plus jamais finir. J’écrivais jusqu’à m’en frémir le squelette. Celui-ci me parlait, sans arrêt ni point, ni temps mort ni silence il me dictait ses craquements osseux comme si j’allais comprendre la blancheur de sa poudre, comme si j’allais le faire renaître en une chair rose et poreuse il me dictait, me dirigeait par les battements de ses rotules et dirigeait mon écriture vers les sensations les plus grelottantes que ma réalité souterraine ait connues ; je m’activais, disparaissais de sous ma peau et longeais le fleuve de mes nerfs ultra nerveux, tout cela pour écrire le son de ses omoplates, de sa hanche ou de son coude je lui disais « squelette! tu me hantes comme une maison hantée! » ; ce à quoi il répondait toujours que je ne l’habitais pas ; ce à quoi je répondais qu’il me hantait de l’intérieur et ce à quoi je rajoutais « qu’en est-il de mes coudes à moi, squelette, qu’en est-il de mes vertèbres que j’aimais?! Je ne peux jamais les voir. Mon intérieur m’est caché. Tu en as fait ton secret et tu me prives de tâter l’état de mes propres os!»

« Tes os sont miens, tu ne peux pas les toucher... », dorénavant qu’il a dit au-travers de ma bouche, ce à quoi j’ai répondu qu’il avait intérêt à ne pas les briser, sans quoi!... « Sans quoi quoi? Si je les brise, c’est moi que je brise. Je n’ai de compte à rendre à personne. »

Je m’activais pour faire frémir mon squelette, j’avais bien envie de lui cogner le crâne mais « Si tu me frappes, c’est toi que tu frappes... » plus il parlait au-travers de ma bouche, plus je me disais qu’il ne devrait pas y avoir accès enfin, je me suis déchiré les lèvres, oui je les ai ouvertes jusqu’à en voir l’os et j’ai troué mes mâchoires afin qu’il parsème mon existence de quelques trous de silence. 

« ... »

J’ai disloqué ma mâchoire, frappé mes genoux contre toutes les tables de l’appartement cogné ma tête contre les moulures arraché mes dents sur toutes les armoires plié mes doigts jusqu’à la mort molle je suis tombé, plus d’une fois, sur mon pauvre dos j’ai saccadé les chocs jusqu’à m’en couper le propre souffle et j’ai dit, squelette dis-moi : « Tu vis encore, vampire?! »

Il m’a dit j’ai la mâchoire disloquée, le fémur brisé le crâne craqué les dents arrachées les phalanges molles les vertèbres saccadées « Mais tu parles encore! » mais je parle encore!... Écris! N’arrête pas d’écrire...

J’ai offert à mon squelette un bol de lait et j’ai dit régale-toi « tu peux bien mourir étouffé par le calcium si tu veux je m’en fous mais laisse-moi arrêter d’écrire, j’ai les phrases qui me secouent le diaphragme, et les mots qui veulent me vomir de la gorge! »

Mon squelette, voyant que je ne pouvais musculairement plus répondre à la demande, est sorti par ma hanche droite et sans faire attention, il m’a troué le ventre, ce à quoi j’ai miraculeusement survécu. 

Il m’a grondé, même si je n’étais devenu qu’une peau flasque étendue sur le sol. Il a dit « Tu fais ce que tu veux de ta peau! Mais la peau n’est rien si tu n’as pas le squelette qui vient avec!... » J’ai grimacé, il a ri, je lui ai dit que mes organes avaient besoin de leurs os parce que je devais aller chez le dentiste demain matin. Il a reculé d’un pas. Je lui ai dit que j’avais besoin de lui pour vivre. Il m’a demandé « pourquoi vivre? ».

J’ai répondu parce que je m’ennuie déjà de vivre comme avant, et la peau flasque que je suis ne sait rien faire et... Il m’a demandé « Et?...» Ce à quoi j’ai répondu évidemment, que bon d’accord, évidemment que je m’ennuie de pouvoir écrire comme avant... 

Il est rentré par le trou de ma hanche d’où il était sorti. Il a bien voulu m’habiter encore, à condition de rénover quelques trucs : « Vraiment, ta hanche droite, t’as vu la grosseur du trou? Faut faire quelque chose. Un troisième bras, ça t’ennuierait ou pas? J’ai un surplus de calcium à dépenser. »

J’ai ri. J’ai grimacé. Je me suis mis à écrire...

« Ha! La vie normale. Et demain matin, le dentiste c’est vrai? Oh merde il faut que je me refasse une beauté... »

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