11 mars 2010

Le passeur d'aspirateur





J’ai passé l’aspirateur. Mais il devait y avoir quelque chose de bloqué dans le tuyau de l’aspirateur pour que j’y entre ma langue. J’ai dû tousser. Je fais de l’asthme. Je veux dire, normalement, je n’entre jamais ma langue dans aucun boyau, mais celui-là, en cette occasion spéciale-là, je n’ai pas pu faire autrement. J’ai mis la langue dans le boyau de mon aspirateur. 

Ça a d’abord tiré très fort. J’ai cru que le palais me détachait. Et j’ai cru mon nez entrer lui aussi. Et j’ai senti mon front se faufiler dans le tube. Et j’ai senti le boyau de l’aspirateur aspirer tout mon être. J’ai voulu débrancher l’appareil, mais j’étais emprisonné à l’intérieur d’une armure de poussières. Je ne pouvais pas sortir mes bras du réservoir de l’aspirateur. Je me suis mis à crier à l’aide. Une poussière m’a parlé : 

- Arrête de crier! T’as déjà entendu une poussière crier?!

- Je ne suis pas une poussière! lui ai-je dit. Je suis un être humain! 

- Un être quoi?...?!

- Vous savez... Le gros truc qui nettoie la poussière!

- Le boyau de l’aspirateur?

- Non! Celui qui le tient!

Les poussières ont cessé de rire. Elles percevaient ma présence comme un véritable problème. Leur ton est devenu dramatique : 

- Si tu es là, qui va ramasser la poussière?! Notre population est en pleine décroissance, il nous faut plus de poussière!

- Comment? ai-je demandé. 

- Depuis quelques temps, on ne reçoit pratiquement plus aucune poussière dans le réservoir...

C’est vrai. Ces derniers temps, je passais beaucoup moins l’aspirateur. Je passais le balai. C’était beaucoup plus économique. Je ne gaspillais pas d’électricité et je jetais aux poubelles les poussières inutiles que je trouvais derrière mes meubles. Je ne me rendais pas compte de la souffrance des poussières. Je ne me rendais pas compte qu’elles ne demandaient qu’à rejoindre les leurs.

Nous avons pensé à une solution pour me sortir de là. 

- Allô, m’a dit Fabiola. Je me présente : poussière numéro 23 362. J’ai une faiblesse pour le poulet et pour tout ce qui est bien cuit. Je me colle facilement sur les fours et sur les barbecues dans les garages. Depuis que tu passes le balai au lieu de l’aspirateur, je n’ai plus d’amies. Mais j’ai cru entendre que tu faisais de l’asthme...

- Atchou! Oui, allergie à la poussière...

Fabiola est entré dans mon nez. Toutes les poussières ont suivi. Elles sont toutes entrées dans mon nez dans le but de me faire éternuer. Leur plan a fonctionné, j’ai éternué si fort que le réservoir de l’aspirateur a explosé. 

J’ai pu me relevé dans un nuage de poussières. Voyant tout le dégât, mon réflexe a été de prendre le balai. J’ai voulu jeter toute cette poussière aux poubelles, mais je me suis rappelé les paroles de Fabiola et des autres poussières. Elles disaient qu’elles avaient besoin de plus d’amies dans le réservoir de l’aspirateur. Elles disaient qu’elles préféraient que j’utilise l’aspirateur. 

Après mûre réflexion, j’ai décidé de prendre le balai. Et je l’ai saisi de main ferme. J’ai jeté toutes les poussières à la poubelle. J’avais, dans le regard, une sorte de joie dominatrice.

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