21 août 2011

Les vraies histoires

Les vraies histoires ne font pas d’histoires. Chaque fois que je n’arrive pas à faire tenir dans une page quelque chose qui m’est arrivé, mon imagination règle tout ça en inventant quelque chose qui se tient. Elle intervient sur moi comme une mère vis-à-vis de son enfant. Elle me fait jouer même si elle n’en a pas envie, dans la boue et les ordures, puis elle nettoie ma crasse, mes doigts, comme si elle m’aimait. Comme si c’était elle qui m’avait mis au monde alors qu’on nous apprend le contraire, à l’école, que ce sont les bébés qui font les mamans.

J’ai essayé, une fois, de raconter ma naissance de la façon qu’elle s’était vraiment passée. Ça n’avait rien de vrai. Je ne voyais ni l’hôpital, ni les docteurs; je ne me voyais pas même moi dans le ventre de ma mère, ma vraie mère, celle qui m’avait donné la vie pourtant, celle qui encore me paie le crayon et le papier. 

Puis, c’est devenu clair : j’étais sur le point de me pendre avec le cordon ombilical quand le docteur, tout à coup, cheveux bruns bouclés, forceps à la main, décida de couper le ventre de ma mère en deux. Chlaque-chlouque. Ma tête en sortit, à peine abîmée par le couteau du docteur, je veux dire, que je saignais à peine du front et que mes vagissements n’avaient rien à voir avec la douleur mais plutôt, avec le visage de ma mère que je trouvais hideux. N’ayant jamais imaginé de visages humains autres que le mien dans le ventre de maman, il fallait bien s’attendre à ce que je pleure en voyant ma mère, laide et épaisse sur sa civière. 
J’entendis le docteur dire :
- C’est un beau garçon!

Ce à quoi je répondis, frustré de ne rien connaître encore aux règles du dialogue et de la syntaxe :
- C’est pas un garçon, c’est ma mère gros con.

Pas étonnant, je dis, que mes pattes l’eussent frappé dans les chnoles, comme si je savais écrire ce mot sans fautes. Je le détestais comme si c’était là un véritable personnage alors que tout ça, au fond, n’était que le jeu de ma chère imagination. Je dus le massacrer solide pour qu’il décidât enfin de s’agenouiller devant moi, bras vers le ciel, scandant mon prénom avant même que mes parents eussent choisi celui qui me convenait. 
- Alaide! Alaide! qu’il criait.

Je doute que ma naissance ce soit vraiment passée de cette façon-là. Si mes amis à l’école se mettaient à m’appeler Alaide, je pense que ma mère en ferait toute une histoire. Elle me répéterait chaque soir qu’il faut dire la vérité aux gens qui nous entoure et que mon vrai nom ne se change pas. En fait, je préfère dire la vérité. Parce que, comme ma mère le dit souvent, les vraies histoires ne font pas d’histoires.

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