21 août 2011

Le pouvoir du pardon

Toute ma vie, il me semble, que je ne compte plus les années durant lesquelles j’ai espéré que se présente l’occasion de lui pardonner. J'aimerais tant lui accorder le pardon, à elle, et ainsi pouvoir me dire que dans notre couple, je ne fus pas le seul à s'excuser.

J’aimerais la voir s’excuser, une fois, à genoux devant moi. J’aurais alors le pouvoir de décider de ses sentiments à elle. Je déciderais de si oui ou non je lui pardonne, de si je la rassure ou de si au contraire je la fais mourir de peine. Il y aurait dans ses yeux la peur qu’on se sépare et dans les miens l'image cruelle d’un verdict. Je rirais, tranquille, en me disant qu’enfin ce n’est pas moi le coupable, ce n’est pas moi le traître. 

Plus je resterais silencieux, plus elle me supplierait. Elle m’embrasserait les pieds, entre les orteils, et je pense que je ferais exprès de prolonger ses excuses rien que pour savourer l’amour qu’elle me porte tout à coup. Je resterais sans mots, sur ma chaise comme sur un trône. Puis je lui pardonnerais, parce que j’aime la voir sourire, je lui dirais : « Je te pardonne chérie, mais tu m’en dois une. »

Bon. Tout ça n’est pas près d’arriver parce que, au compte des saloperies qu’un couple peut se faire l’un vis-à-vis l’autre, c’est moi qui mène. Je dirais même que j’ai une solide avance sur elle. C’est toujours moi qui fais les gaffes. Sitôt que je l’ai connue, pas même deux jours après l’avoir embrassée, c’est moi qui lui demandais pardon d’avoir embrassé une autre fille qui était un peu très âgée et qui était un peu ma tante lors d’une fête familiale tout ce qu’il y a d’ordinaire. Deux mois après, je m’excusais encore d’avoir engueulé son père au téléphone, et d’avoir posé la main sur la fesse de sa mère et bon, quand mon fils est né je lui ai demandé pardon d’avoir manqué l’accouchement, et ainsi de suite jusqu’à notre voyage de l’année dernière où je lui ai demandé pardon de m’être promené à poil sur la plage de Cocolao sur l’heure du midi. J’ai eu beau lui dire que si les touristes n’avaient pas eu l’idée de pique-niquer à l’endroit où j’avais décidé de m’asseoir il n’y aurait pas eu de problème, n’empêche, elle a du mettre au moins six mois avant de me pardonner.

Je pense que, chaque fois qu’elle me pardonne, elle classe toutes mes gaffes dans un grand dossier. Ce dossier a un titre qu’elle a elle-même choisi d’écrire entre guillemets : « Voilà pourquoi mon mari ne m’accorde aucune attention. » Ce qu’elle veut, c’est une sorte d’attention royale, ou plutôt, fanatique, comme si c’était elle la grande chanteuse et moi le fan qui récupère tous les objets qu’elle a touché pendant sa parade.

Ce qui me manque, pour que nous soyons égaux elle et moi, c’est un dossier. J’en ai créé un. J’ai même le titre : « Voilà pourquoi il n’y a pas que ton mari de croche. » Sauf qu’il n’y a rien dans ce dossier. Il n’y a rien parce qu’elle n’a jamais rien fait de mal, paraît-il. 

Ces derniers temps, j’ai commencé à lui reprocher tout et rien, pour n’importe quoi, espérant trouver quelque chose chez elle qui ne soit pas net et remplir mon dossier. Hier, je l’ai engueulée parce que, sur le gâteau de mon trentième anniversaire, elle avait mis trois chandelles au lieu de trente. Je lui ai reproché aussi d’avoir brisé ma tondeuse, et aussi d’avoir décliné mon invitation à faire l’amour sous la douche, quatre ans plus tôt, sous prétexte qu’elle ne voulait pas mouiller ses cheveux.

J’ai eu l’idée de génie de lui dire que, si elle n’avait pas voulu mouiller ses cheveux, c’était pour le voisin. Parce que si on se souvient bien, après ma douche, nous étions allé chez lui.
- C'était donc pour lui que tu voulais être belle! ai-je dit.

Je l’ai frappée, une fois avec mon poignet, et une autre fois avec la chaise de la cuisine. J’ai lancé un pot à fleurs dans la piscine. Je trouvais que le geste valait la peine d’être fait. Je voulais qu’elle ait la certitude que j’étais vraiment en colère, et qu’elle estime enfin qu’il serait bon, une fois dans sa vie, qu’elle me demande pardon. 

Mais non. Au lieu de ça, elle a traversé la haie de cèdres jusqu’à chez le voisin. Là-bas, elle s’est pris une bière près d’un feu, avec lui, sans moi. Je ne voulais pas la suivre. J’ai attendu dans mon lit qu’elle revienne le lendemain matin. Je l’ai attendue toute la nuit, les bras croisés, et quand finalement elle est entrée dans la chambre, j’ai ouvert les yeux et j’ai dit :
- Demande-moi pardon!
- Non, rien de rien, je ne regrette rien.

Voilà ce à quoi j’avais droit. Une phrase de merde de chanteuse dont j’ai oublié le nom. Je n’ai pas eu droit aux pouvoirs que possèdent ceux qui pardonnent, non, j’ai eu droit à cette phrase qui résonne encore au fond de moi comme un chien qui se tape la tête sur les barreaux d’une cage. 

Tandis qu’elle froissait ses vêtements dans une valise, je suis sorti de mon lit. J’ai rampé par terre. Je lui ai dit :
- Pardonne-moi de t’avoir traité mal! J’ai mal voulu dire, demande-moi pardon, rien qu’une fois, et ensuite ça sera à mon tour de te demander pardon pour toutes les fois où je t’ai demandé pardon et je te pardonnerai! Mais une fois! Demande-moi pardon une fois!

Elle est partie en chantant la même histoire. Maintenant, si je la retrouvais, je pense que je l’attaquerais. Je la violenterais à un point tel qu’elle devrait me tuer pour sa survie. Moi, si j'étais mort, si je la quitterais comme des lambeaux de ciel, j’attendrais patiemment qu’elle me revienne, là où je serais, et je continuerais à croire qu’elle reviendrait, un jour à mes pieds, s’excuser pour toutes les erreurs que j’aurais aimé qu’elle fasse mais qui n’ont jamais existé.

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