28 janvier 2010

Ortiste et Tristor

Ortiste : Et ma santé? Je ne sais plus où j’en suis, Monsieur. Je sens que je meurs un peu plus chaque jour...

Tristor : Vous prenez vos médicaments?

Ortiste : Je n’en prends aucun. Vous ne m’en avez jamais prescrits.

Tristor : Bien. Et quels sont les symptômes?

Ortiste : Euh... Souvent, le matin, je me réveille et je ne sais plus où je suis. Enfin, des pertes de mémoire. J’ai des étourdissements et des problèmes de digestion aussi. Et des tremblements, c’est vrai.

Tristor : Autre chose?

Ortiste : Des vertiges. Surtout en hauteur. Mais des vertiges horizontaux aussi. J’ai le vertige quand je regarde à l’horizon. Je suis toujours étourdi, Monsieur... Vous allez me prescrire des anti-vertigineux?

Tristor : Non. Combien de fois buvez-vous de la bière, de l’alcool, par semaine?

Ortiste : Combien de fois bois-je de... Je ne sais pas, quatre? Cinq?

Tristor : D’accord, ça va. Avez-vous de la difficulté à vous endormir le soir?

Ortiste : Oui, toujours. Et quand je parviens à m’endormir, je me réveille au milieu de la nuit. Je dois toujours aller faire pipi. Et c’est très agaçant, car je dois me lever, marcher jusqu’aux toilettes et me recoucher. Ça vous casse une nuit, ça, Monsieur!

Tristor : Buvez moins d’eau...

Ortiste : J’ai bien essayé, mais j’ai toujours soif. On dirait que mon corps carbure à l’eau. Il en a toujours besoin! Pas moyen de lui passer que du jus ou que de la bière, il me faut toujours au moins un grand verre d’eau par jour.

Tristor : Alors mangez plus!

Ortiste : C’est bien ça le problème, Monsieur, je ne mange plus! Chaque jour, je mange le matin trois oeufs, du jambon, des fèves et des pommes de terre. Vers dix heures, je me fais une soupe au poulet et au riez. Et à midi, je me tape un plat de spaghettis accompagné d’une salade. L’après-midi, ce sont les eggrolls ou les hambergers. Enfin, le soir, je me fais le bifteck, le rôti ou le poulet entier. Eh bien vous savez quoi, vers neuf heures, je n’ai plus faim!

Tristor : Quel drame.

Ortiste : Vous ne m’apprenez rien. Je me dis bien qu’il me faudrait manger davantage, si je veux cesser de faire pipi la nuit. Mais rien n’y fait... J’ai besoin de médicaments, Monsieur.

Tristor : Quelle couleur?

Ortiste : ?

Tristor : Quelle couleur vos médicaments. J’en ai des bleus, des mauves, des rouges et des roses.

Ortiste : L’effet des mauves est-il égal à celui des rouges et des bleus combinés?

Tristor : Il est à mi-chemin entre le rouge et le bleu. Les roses sont les plus faibles. À mi-chemin entre les rouges et rien du tout.

Ortiste : Donnez-moi les bleus.

Tristor : Mais je vous conseille les blancs.

Ortiste : Que font-ils?

Tristor : Rien du tout.

Ortiste : Et mon problème de... vous savez quoi... Mon problème de ceci... vous en faites quoi?

Tristore : Votre problème de...?

Ortiste : Ceci... Vous voyez où je pointe? De sexe enfin vous savez bien!

Tristore : Ah! J’ai perdu votre dossier. Pouvez-vous me rafraîchir la mémoire?

Ortiste : J’ai toujours envie de vous savez quoi... Enfin, je me masturbe!

Tristore : Souvent?

Ortiste : Au moins une fois par jour!... C’est très gênant tout ça et...

Tristore : Vous avez une petite amie?

Ortiste : Non. Devrais-je?

Tristore : Ça pourrait aider.

Ortiste : Et mes gaz?

Tristore : Vos gaz?

Ortiste : Parfois... hum de l’air sort d’entre mes fesses. Surtout vers dix heures. À l’heure de la soupe.

Tristor : C’est gênant?

Ortiste : Très! Heureusement, j’habite seul. Mais s’il fallait que quelqu’un m’invite à dîner je serais bien embarrassé.

Tristor : Je vois... Vous n’avez aucun problème d’odorat?

Ortiste : Si! J’ignore pourquoi, mais chaque chose a une odeur particulière. Les fleurs, les animaux, le bois, même mon rôti dégage une certaine odeur lorsqu’il cuit! Je sens tout, Monsieur. Hum, même les gaz des autres...

Tristor : C’est gênant?

Ortiste : Très! Il faut me prescrire quelque chose. Enfin, ça n’a plus de sens!

Tristor : En effet... Et l’ouïe, comment se porte-t-elle?

Ortiste : Mal. J’entends tout. Le tic-tac de l’horloge, le murmure de mes voisins, la musique de mes frères, les passants qui discutent, les cons qui parlent à la télé... Je n’ai plus de tranquillité. J’ai perdu ma paix intérieure...

Tristor : Vous avez raison, il faut faire quelque chose. De ces bruits, en avez-vous marre au point de mettre la vie de quelqu’un d’autre en danger?

Ortiste : J’y ai pensé, Monsieur. C’est énervant de tout entendre. Particulièrement la musique de mes frères. Mais j’ignore ce qui m’agresse le plus : leur musique ou leurs paroles. Leurs moqueries résonnent constamment à mes oreilles. Nous avons un problème de communication, mes frères et moi...

Tristor : Pourtant, votre communication semble bonne.

Ortiste : Elle ne l’est absolument pas. Il me semble que, chaque fois que je parle, je ne suis pas entendu. J’ai beau parlé, j’ai beau crié, personne ne porte attention au son de ma voix! Il faut que vous fassiez quelque chose, mes mots sont défectueux!

Tristor : Vous ne savez pas parler?

Ortiste : Voilà. Je ne sais pas parler. Je parle, mais pas de la bonne manière.

Tristor : Pourtant, vous me parlez présentement.

Ortiste : Je vous parle. Mais vous n’entendez peut-être pas ce que je dis. Je vous dis que je suis malade. Et je veux le médicament bleu.

Tristor : Je vous entends très bien Monsieur. Et je vous dis de prendre la pilule blanche.

Ortiste : Pourtant, je vous dis la bleue.

Tristor : Et pourtant, je suis médecin...

Ortiste : Vous ne comprenez pas ce que je vous dis? Je suis malade! Malade! Je me lève la nuit pour aller aux toilettes! Même que, parfois, dans le noir, je fais pipi à côté! Et chaque fois que ça arrive, j’ai la manie de me laver les mains! Avec du savon! Et après m’être bien nettoyé, je m’essuie les mains avec une serviette! Je gaspille du temps, je gaspille ma nuit, je gaspille des serviettes! Vous vous rendez compte?

Tristor : Je me rends compte de ce que vous me dites mais...

Ortiste : Et quand je retourne à mon lit, j’observe par la fenêtre et je regarde les étoiles! Je les observe alors que je devrais dormir, Monsieur! Ce n’est pas normal! Le lendemain matin, je me lève une minute, parfois deux minutes en retard! Et je ressens toujours le vide de l’univers de la veille! La petitesse de mon existence! Et je mange mes oeufs en ne sachant pas pourquoi je les mange!

Tristor : D’accord, prenez le médicament bleu. Prenez-le, voilà.

Ortiste : Merci! Je le prends imm...

Tristor : Les effets devraient se faire sentir...

Ortiste : ...Médiatement. Pourquoi je les mange? Parce qu’il faut bien nourrir les poulets...

Tristor : Bientôt.

Ortiste : ...Je veux mourir...?

Tristor : Maintenant.

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