25 janvier 2010

La complainte de Maxias


Maxias n’a plus rien à se dire. Il ne se parle plus. Il se boude. En silence. Jette un coup d’oeil à l’évier de la cuisine. Le vieux verre de lait ne lui dit rien. Il éteint la musique. Se masturbe très vite et remet la musique. Le vieux verre de lait coule lentement dans les tuyaux. 

Il ne s’est rien passé. Maxias ne se parle pas. Ne bouge pas les lèvres. Il s’absente de lui-même et fait la vaisselle. Une croûte blanche au fond du verre de lait. Il frotte. Hume, sent, frotte. Observe attentivement le fond laqué du verre. Gratte. Avec un couteau, gratte le fond. Arrache la croûte blanche. Respire, sent. Fronce les sourcils. Ajoute du savon, passe l’éponge, la tourne dans tous les sens sur les parois du verre. Retire l’éponge, observe, ferme un oeil. Puis l’autre. Rouvre les yeux, ajoute de l’eau. Prend une brosse, récure. Observe, abandonne la brosse au fond de l’évier. Renverse le verre. Frappe sur le fond. Regarde la mousse glisser lentement. Frappe encore. Observe. Jette le verre aux poubelles.

Maxias serre l’éponge très fort dans sa main droite. La mousse glisse le long de son poignet. L’eau est froide. Il voit les assiettes au travers. Il ajoute un peu de savon et de l’eau chaude. Il éteint la musique et se masturbe très vite. Il remet la musique. Un verre de vin rouge. Le vide dans l’évier. Il le plonge. Le nettoie. Il frotte le cerne rouge avec une éponge. Observe, hume, récure. Brosse. Il jette le verre aux poubelles.

Il ouvre l’armoire au-dessus de l’évier. Il sort de l’armoire une grosse boîte, et sort de la grosse boîte une coupe. Il se sert un verre de vin rouge. Il brise le silence.

« C’est inutile. »

Il s’est juré de ne plus parler quand il est seul à la maison. Il se tait. Les voisins se sont plains. Il baisse la musique. Désormais, il ne crie plus. Ne danse plus. Ne jette plus ses verres sur le parquet. Ne parle plus. Ne chante plus. Ne boirait plus si l’option de ne plus boire existait. En attendant, il verse un peu de vin dans sa coupe. 

Il se masturbe en silence. Remet la musique. Prend une gorgée. Fixe l’évier comme un ennemi. Il n’a plus le droit de se parler. Chaque fois qu’il engage la conversation avec lui-même, ça se termine par des éclats de verre ou des blessures graves à la tête.

Et le téléphone? Il le tient toujours débranché. Il a bu cinq verres de vin. De toute façon, sa prononciation est toujours déficiente. Il augmente le volume, juste un peu. Le temps d’une cigarette. 

Il fume, éteint. Éteint la musique. Se masturbe. Rallume la musique. Augmente le volume. Une gorgée de vin. Fume une cigarette. Lance un regard curieux à l’évier. Une assiette sèche toute seule, hors de l’eau. Il avait oublié de l’essuyer. Essuie. Range l’assiette dans l’armoire selon l’ordre des grandeurs. 

S’absente pour uriner. Il préfère s’asseoir sur la toilette plutôt que risquer d’en mettre sur les côtés. Sort des toilettes. Il avait oublié qu’une cigarette allumée l’attendait dans le cendrier. Il la fume debout. S’observe la fumer dans le miroir. Il ne dit pas un mot. Il souffle beaucoup de fumée. Ne respire pratiquement pas. Il réfléchit. 

Il augmente le volume mais n’entend pas la musique. Il se concentre sur les vibrations du plancher. Puis il crie quelque chose.

« Aga-ga-bu bu-bu-bu-bu! »

Il se ressaisit. S’observe essuyer le liquide sur ses lèvres avec le revers de sa main. Racle sa gorge. Se regarde droit dans les yeux. Passe la langue sur sa lèvre inférieur. Mordille sa langue. Il gratte sa langue avec ses molaires. Il la trouve pâteuse. Inutile. Il déboutonne son jean. Passe une main dans son pantalon. S’observe finir sa cigarette. Il retourne à la table. Au cendrier. L’évier semble l’appeler. La vaisselle semble lui parler. Mais il refuse de répondre aux objets qui lui parlent. Ses voisins l’ont averti. Si les crises se reproduisaient encore, ils aviseraient la police. Tu n’as qu’à bien te tenir, Maxias.

Une gorgée de vin. Il a failli oublier de se masturber. Il rallume la musique. Augmente le volume à peu près aussi fort que ce l’était avant le sexe. Il lui reste les tasses à café à laver. Frotte le cerne brun au fond des tasses. Il observe, hume et s’interroge. Il se met à parler dans une tasse. 

« Inu-nu-nu-nu-nu bu-bu bi-bi-bi le. »

Il augmente le volume. Il sent les vibrations des hauts-parleurs sous ses pieds. Il danse. Une tasse dans les mains. Il veut du bruit. Il a besoin d’entendre. Il veut que ses oreilles débloquent. Il a besoin d’un grand éclat. Il crie. Sourd et frustré de l’être. Il balance la tasse sur les murs mais elle ne se casse pas. Pas encore. Il chante les vibrations de ses pieds. Il flotte sur ce qu’il croit être une musique. 

La mousse sur ses mains le fait glisser sur tous les murs. Il augmente le volume. Les hauts-parleurs, au sol, réveille les voisins d’en dessous. Maxias s’ancre dans le monde des entendants. Il y participe. S’affirme. Dérange. 

Toc toc toc. 

Maxias n’entend pas qu’on frappe à la porte. La tasse percute le coin d’une table et se fracasse. Ça y est. La police entre. Ils sont deux. Un homme et une femme. Maxias a conservé deux morceaux de verre triangulaires dans ses poches. Un morceau dans chaque main.

Sitôt que le policier aura le dos tourné, il deviendra sourd lui aussi.

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