15 janvier 2010

Le silence est parfait

Il n’y a eu personne qui m’a téléphoné aujourd’hui. Personne ne me téléphonera ce soir. Personne ne viendra chez moi. Personne ne sait que je suis chez moi. Personne ne sait où c’est chez moi. Je me demande si j’existe. Je suis comme l’arbre qui tombe sans témoin dans la forêt. Je n’émets aucun son pour personne.

Je suis muet pour tout le monde. J’ai été oublié par ma faute. Je ne suis pas sorti ce soir. Maintenant, je paie le prix. J’ai bien essayé de me trouver une nouvelle passion : restauration de meubles, réglages de télés, brûlage de rideaux, creusage de mur, défonçage d’oreillers... Rien de tout cela ne me plaît. 

Il fait noir. Je n’ai plus d’ampoules. Mon oreille droite bourdonne. Celle de gauche l’écoute attentivement. Comme le frigo il ronronnait. Et la cuisinière, attentivement. Mais j’ai troué le frigo. J’ai détruit les machines. Mes électroménagers voulaient trouer le silence. Ils ont payé le prix. La seule machine qui vit encore, c’est le téléphone. Et mon marteau est prêt, au cas où rien ne sonne. 

Dring.

J’ai écrit le mot dring. Mais le téléphone n’a pas sonné pour de vrai. Alors j’ai ramassé les morceaux de téléphone éclatés par terre. Et j’ai coupé le fil avec une pince. La petite pince de papa. Celle dont il se servait pour s’occuper de mon appartement. Mais maintenant qu’il n’est plus propriétaire... Il ne m’appelle plus. J’ai un propriétaire que j’ai vu une fois. Je l’avais croisé, un soir, près des casiers. Un Italien. Ce soir-là, je me suis fait un spaghetti. Je ne l’ai pas revu.

Mes chaises fonctionnent encore. Je suis assis sur l’une d’elles. Et j’en vois trois autres qui tiennent toujours. J’attends l’heure où elles craqueront. Ça ne vient pas vite. De bonnes chaises. Je les ai trouvées au bord du chemin. Mon voisin jette souvent de belles ordures. Mais je ne l’ai jamais vu, lui.

Crac.

Mais les chaises n’ont pas craqué pour de vrai. Avec le dossier des chaises, je pourrais construire une niche pour mon chien. J’ai mis ma hache de côté. Elle est dangereuse. Les pattes des chaises traînent encore sur le plancher. Je pourrais construire une petite prison avec les barreaux. Pour m’enfermer pour de vrai. M’oublier pour de bon. 

Tout le monde m’a oublié sauf moi. Je suis le seul à penser à moi. Les autres sont partis penser à eux. Ailleurs. Tu pouvais m’appeler hier. Tu pouvais m’appeler aujourd’hui. Tu ne peux plus m’appeler ce soir. Ce soir, je règle mon compte.

J’ai découper toutes les ustensiles qui fonctionnaient encore et je les ai rangés dans l’évier. J’ai coupé les fourchette en deux avec les pinces. Les grosses pinces de papa. Celles qu’il prenait pour couper le cadenas du casier quand je perdais la clé. 

J’ai coupé l’électricité. J’ai coupé tous les contacts. J’ai coupé les couteaux. J’ai frappé les miroirs. J’ai ouvert le grille-pain. J’ai scié la baignoire et j’ai bouché la toilette.

Il n’y a plus que mes pieds qui fonctionnent encore. Ils marchent. J’attends qu’ils fassent flop. Qu’ils glissent. J’ai mis de l’eau par terre. J’attends qu’ils glissent. Ça ne va pas vite.

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