25 janvier 2010

La complainte de Maxias II




II


Maxias aurait voulu croire tous les êtres humains égaux. Il a compris malgré tout que sa déficience auditive ne lui permettrait jamais d’être égal aux autres. L’ouïe lui manque. Il a juré devant les tribunaux qu’il acceptait cette déficience et qu’il ne tenterait d’agression, ni contre un corps policier, ni contre un voisin. 

Maxias a regagné son appartement après deux ans de prison. Durant ces deux années, il s’est tu. Quand les prisonniers passaient devant lui, il faisait semblant de comprendre ce qu’ils leur murmuraient. Tout le monde savait qu’il avait tenté quelque chose contre un corps policier. Les rumeurs s’étaient propagées. On disait qu’il avait été accusé pour tentative de meurtre. Qu’il était entré par infraction chez un policier durant la nuit. Ce qui était totalement faux. Mais quand les détenus demandaient à Maxias si la rumeur était vraie, ce dernier haussait les épaules. Et ce haussement d’épaules exprimait, pour les détenus, une réponse affirmative.

Les yeux mi-clos devant le micro-ondes, Maxias attend son dîner. Il est 19 heures. C’est aujourd’hui la première soirée qu’il passe dans son appartement depuis son arrestation. Les voisins sont à l’affût. Ils guettent le moindre son, le moindre bruit qui puisse venir du A02. 

« A-bu-bub... »

Le micro-ondes sonne l’alarme. Maxias retire son plat et déchire le coin de son repas pour en laisser sortir la vapeur. Il jette un regard curieux à l’évier. Un regard attendri. Bourré de sentiments. Il baisse les yeux. Son repas ne fume plus. Il prend une fourchette et mélange la sauce aux pâtes. Il pique furieusement le carton de son plat et souffle sur les pâtes chaudes. Il prend une bouchée en faisant glisser ses dents sur la fourchette. Il mastique, l’air préoccupé. Le téléphone? N’existe plus. La petite amie non plus. 

JASMINE. Sourde, comme lui. Elle avait la mauvaise habitude de verser du lait sur son vagin pour que son chat vienne lécher. Le chat ne venait jamais. Elle se choquait et lui foutait des claques.

« Si-si-si Bu-bu-bu bu-bu? »

Maxias attend une réponse. Il a peur qu’un voisin frappe à sa porte. Ou que le policier vienne se venger. Il saigne de la main droite. Comme Maxias a toujours l’habitude de garder ses mains dans ses poches, il se frotte constamment contre les morceaux de verres triangulaires qu’il a en réserve. Le sang coule le long de sa fourchette. Se mêle à la sauce tomate de son repas. Il lèche sa lèvre inférieur et l’essuie du revers de sa main. Puis il observe le mur devant lui. Longtemps.

Il fait craquer son cou. Un tic qu’il a développé en prison. Il observe le mur en face de lui. Faudrait bien repeindre le mur, qu’il pense. 

Toc toc toc.

Il n’a plus faim. Il met la musique. Il fume une cigarette. Toc. Toc toc. 

Il jette le carton de son repas aux poubelles. Et sa fourchette aussi. Il n’aurait jamais fait glissé ses dents sur sa fourchette si elle n’avait pas été de plastique. Il ne se masturbe pas et baisse le volume. Et ses parents? Il ne leur parle plus depuis l’épisode de la prison. 

Les voisins d’au-dessus s’amusent. Ils frappent sur son plafond à coups de balai. Maxias perçoit les bourdonnements de ses voisins sur son plafond et dans les couloirs. Il allume la veilleuse de sa chambre. Il ne peut s’endormir seul sans lumière. 

Toc toc toc atsias!

Maxias n’entend rien. Il se prépare à se coucher. Il vérifie si la porte d’entrée est bien verrouillée. Pour cela, il l’ouvre. Il aperçoit Jasmine et referme la porte. Il rouvre la porte. 

« Asmine! »

Ils se parlent en signes. Personne ne peut comprendre sauf eux. Ils se disent peut-être qu’ils s’aiment encore. Il y a une accolade. Maxias pleure. Jasmine le pousse avec ses petits doigts, mais le serre dans ses bras. Je suppose qu’elle lui pardonne ce qu’il a fait. Elle dit « Bu-bu-bu-bu-bu! » et il répète « Bu-bu si-si bu-bu! » et ils éclatent de rire. Je ne ris pas. Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.

Elle entre avec lui. Ils ferment la porte. Un morceau de verre est tombé sur le pas de la porte. Il a éclaté. Mais personne n’a entendu. Pas même moi.

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