28 janvier 2010

Ortiste et Artiste

Artiste : Mais compter les heures ça va. Tu peux rien faire d’autre.

Ortiste : Mais chaque fois? Chaque matin? Chaque soir? Je regarde constamment l’heure. Il ne se passe pas deux heures sans que je regarde au moins une fois l’horloge. J’ai un toc. Un tic. Une manie de toujours vouloir savoir quelle heure il est.

Artiste : Alors peins une horloge. Si c’est ta manie, ta passion...

Ortiste : De là à dire que c’est ma passion... Des manies, j’en ai plein. Et elles me troublent toutes. J’ouvre constamment la porte du frigo en espérant qu’il y ait quelque chose de nouveau à manger alors que je sais très bien qu’il n’y a rien là-dedans qui puisse me tenter.

Artiste : Alors peins un frigo.

Ortiste : Et l’inspiration? C’est quoi?

Artiste : Rien du tout.

Ortiste : Une pilule blanche?

Artiste : C’est le moment présent... Une idée très présente et assez valable pour en faire quelque chose de concret. Fais-tu souvent le même rêve?

Ortiste : Tu connais ma condition. Tu connais mes maladies... Tu sais très bien que je fais souvent le même rêve : je rêve que je dois passer la nuit dans une usine où des voleurs tentent d’entrer. Il n’y a pas de blagues à faire...

Artiste : Ce n’est pas une maladie, c’est un rêve. C’est normal d’avoir des rêves. Tu peux t’en inspirer pour faire une sculpture ou peindre une toile.

Ortiste : Normal? Tu trouves ça normal! Si tu voyais les cauchemars que je fais, tu ne trouverais pas ça « normal »! Je rêve au sang, je rêve à des têtes mortes, des...

Artiste : C’est toi qui décides. Tu n’es pas obligé de peindre tout ce que t’as en tête...

Ortiste : Parfois, je me demande si j’ai un cerveau. Ou si je ne suis pas guidé par les force d’un destin. J’ai pensé consulté un docteur à ce sujet, mais l’attente dans les urgences, et tout le monde veut...

Artiste : Ta santé importe peu ici. Tu peux être malade, tu peux être fou, tu peux avoir quatre ans comme tu peux avoir quatre-vingt-quatre ans. Je m’en fous. L’important, ici, c’est ce que tu fais. Pas ce que tu es.

Ortiste : Ce que je fais? Je ne sais pas peindre, évidemment, puisque je suis handicapé.

Artiste : Handicapé?

Ortiste : Oui, mes bras sont défectueux... Souvent, je veux prendre quelque chose mais je n’y parviens pas. Je l’échappe. Et quand je tente de transporter un objet de valeur, il arrive assez souvent que je perde pied et que l’objet tombe par terre...

Artiste : C’est pas handicapé ça, c’est maladroit.

Ortiste : Non. Même si j’étais gaucher, je serais malagauche quand même.

Artiste : ? Haha!

Ortiste : Tu te moques de moi? Tu me lances des moqueries?

Artiste : Non, je ris! Attends, t’as fait une blague là, non?

Ortiste : Je ne connais aucune blague. Je suis venu pour peindre un tableau parce que mon psychiatre a dit qu’il fallait que je vienne ici pour peindre un tableau et...

Artiste : Les pinceaux sont là-bas, le plâtre et l’argile sont ici. Si tu veux une toile, tu demandes. Ça dépend de la grosseur que tu veux...

Ortiste : Très gros. Ultra-gros.

Artiste : ? Ah oui? Bien! Voilà une décision!

Ortiste : J’ai toujours de la difficulté à prendre des décisions, c’est ma maladie, souvent il faut faire des choix : chocolat ou vanille? Mais je veux seulement quelque chose de crémeux et la dame...

Artiste : Hé, d’accord! Garde-toi un peu d’inspiration pour la toile que tu vas peindre hein!

Ortiste : Je ne veux plus peindre. Tes toiles sont trop petites.

Artiste : Et les huit pieds par huit pieds?!

Ortiste : Trop petit. T’as déjà regardé les étoiles toi, la nuit, après avoir fait pipi?

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