2 janvier 2013

Transpiration féline

Mon frère était albinos. Ou peut-être alpaga albatros, ou alpin, alpiniste, lapin pin. Je ne l’ai pas connu. C’est facile, quand on a connu, de trouver la ressemblance d’avec les animaux. Tout, à propos de son existence, est suivi du regret d’avoir dit une chose qu’il aurait fallu taire. C’est ça, le problème d’avec les morts, c’est qu’on les croit fragiles alors qu’entre vous et moi, ça se balade au-dessus de tout, puissant comme tout, blindé dans les nuages du pays des morts. On les croit que leurs oreilles sont beaucoup plus sensibles qu’elles ne le sont en vrai. C’est pas de mon vivant que je verrai un mort se venger du gros nez qu’on l’a traité, et pas de ma vie que la claque de mon frère me retournera l’insulte que je l’ai insulté.

Au cimetière, on a peur du dos des morts qu’à force de parler dedans ils vont reculer et nous choper la vie. Pissous, pisseurs, picsous! On porte des fleurs. Les fleuristes, allez savoir, pourquoi ça existe. N’était de la mort, si on remplaçait chaque fleur du cimetière par l’argent qu’elle a coûté, on jetterait des pièces, des billets de banque sur nos frères enterrés. Le mien, je ne lui donnerai rien. J’attends qu’il me parle. Quand il ne dit rien, je l’insulte. Que je sache, il n’y a rien qui puisse extirper mieux les mots d’un mort qu’une insulte bien placée. Chou gras! Chou gras, que je l’appelle. Il ne répond pas. Il avait huit ans quand il est mort. J’ai eu le temps de vivre. J’ai doublé son âge. Les souvenirs s’accumulent. Lourds. Je me dis parfois qu’un chat mort vaut mieux qu’une vie d’humain. Personne ne m’insulte. C’est qu’on a peur que je sois fragile comme les morts et que la peur grandisse, de plus en plus, de plus que je ne suis pas mort.

Hier, j’ai vu un chat qui était femelle parce que le ventre, la portée, les chatons, ça enfantait comme si l’avenir ça n’existait pas. Sur les six chatons, cinq sont morts. J’ai ri parce que je l’aurais prédit. J’ai pris celui qui restait et me le suis enroulé autour du coup. Son duvet m’a fait chaud. Juste assez chaud pour que mes bras ont transpiré. Sauf qu’au lieu de de la sueur, c’était du poil de chat qui me sortait des pores. Le poil de mon avant-bras s’est allongé comme de la fourrure. Ça poussait à vue d’œil. C’était comme les morts sortent de terre. Plus que ça poussait, plus que je flattais. L’os de mon poignet a pris la forme d’un crâne de minou. Ses pattes gluantes ont poussé comme des quenouilles. J’ai tiré sur sa nuque et l’ai sorti de ma peau. Il dégoûtait le sang. Je l’ai léché pour le laver. Ça n’a pas pris dix minutes qu’il était propre. Je l’ai regardé droit dans les yeux, son museau doux qu’il était collé sur ma langue, et lui ai dit « tu n’es pas plus mort que ton frère qui n’a jamais vécu ». Et puis j’ai eu chaud. Puis j’ai senti que mes bras allaient en transpirer un deuxième.

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