Je ne me souviens pas d'avoir choisi, moi, de venir au monde. Il me semble que le pacte était déjà signé. Je n'ai pas eu mon mot à dire. Ma mère non plus d'ailleurs. Elle n'a pas eu à choisir entre moi ou un autre. Elle a enfanté, point final. L'enfant fut moi et pouf, du jour au lendemain, j'ai appris à uriner sans l'apprendre. Si j'avais eu un frère cadet, il aurait uriné lui aussi, de la même façon que moi.
Ma mère aurait pu avoir quinze fils. Qui sait quelle tête ils auraient eues. Une mère qui accouche, c'est comme un insecte qui peuple de ses larves la branche d'un arbre. Vues de loin, les larves sont identiques. Vues de près, c'est là qu'elles se différencient : certaines sont dodues, d'autres maigres; certaines sont plus foncées que d'autres, comme si elles portaient le pull noir en laine que votre mère vous a acheté en mille neuf cents je ne sais plus quoi.
On évalue la santé d'une espèce à sa reproductivité. Pendant que d'autres félicitent les rares mères enceintes de jumeaux ou de triplets, je me questionne à propos du ventre de ma chatte, à savoir si elle en contient cinq ou si ce ne serait pas plutôt six. Je sais, je parle de choses ou de trop grande, ou de trop peu d'importance, et j'en parle comme un lâche sous un nom qui n'est pas le mien. C'est le nom du personnage que j'ai choisi d'incarner, ainsi que je me le plais à croire, un pauvre personnage que je plains de n'être ni philosophe, ni scientifique; ni même capable de dire s'il est humain ou animal. Un enfant qui jamais n'eut de frère, faute d'une mère qu'il a très peu connue mais dont la tête ressemble étrangement à celle de cette larve qui, de branche en branche, englue la haie qui le couve.
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