2 janvier 2013

Le chien de Toulouse

Toulouse plisse les yeux. Il regarde la lumière pendre du plafond comme un glaçon au bout d'une ampoule. Il n'a plus besoin de personne pour se sentir seul. Le marron de ses yeux est couvert d'une pellicule liquide qui a rougi ses paupières. Il pense à tous ceux qu'il a rencontrés sans pour autant s'en faire des amis. Il ne lui reste plus que son chien. Toulouse se tourne vers le chien et lui dit :
« Le jour où je me serai débarrassé de toi, je comprendrai peut-être pourquoi je n'avais jamais voulu de toi. »

Le chien plisse les yeux. Toulouse bâille. Le chien bâille aussi. Toulouse se gratte derrière l'oreille. Le chien grignote sa patte arrière, lèche ses orteils, mordille sa propre cuisse comme si c'était son souper. Peu importe qu'il y ait eu de la bouffe ou non dans sa gamelle ce soir-là, le chien se serait arranger autrement. Personne n'a besoin de maître pour survivre. Mais pour vivre avec un chien, l'humain a besoin d'être maître. Sans quoi l'amitié ne tient plus.

L'amitié est un contrat que la terre a signé avec la terre. C'est un monde qui manque à l'humain. Une humanité qui manque au monde. Les animaux meurent souvent. Les humains aussi. On fait pousser des carottes pour oublier que la laitue est brune. C'est triste. Nous sommes rendus là. Au point où la couleur nous fait pleurer. Toulouse n'a plus besoin d'avoir de chien pour dire qu'il a un chien. Son père lui a téléphoné pour lui dire qu'il n'en avait plus.
« Ton petit dernier a été piqué. »

La musique a fait vomir Toulouse. La voix de son père aussi. Il mime de se suicider avec son poing. L'avenir se dresse devant lui comme un peuplier dont on ne voit jamais les fruits mais dont on prétend qu'il y en aura à manger demain. Demain ou après-demain. Toujours plus tard. Il faut continuer de chercher. Ceux qui plantent les arbres n'ont aucune idée du nombre d'années dont ils prolongent la souffrance.

Il faut chercher sans relâche. Une ambition est si vite avalée par celle d'un autre. Les luminaires au plafond coulent en cônes sur le plancher. Toulouse n'ose plus fermer les lumières. Au moindre bruit dehors, il s'agite. Il fait les cents pas en se rongeant les ongles. Depuis que son chien n'est plus là pour japper, il angoisse à l'idée qu'un voleur s'infiltre chez lui. Les rares fois où il parvient à s'endormir, il rêve que son père lui téléphone :
- Ton petit dernier a été piqué!
- Je sais que je n'ai plus de chien... lui répond Toulouse.
- D'abord, tu en as eu un. Et puis tu n'en as plus eu, et puis tu t'en es acheté un autre. Celui-là aussi tu ne l'as plus. Et puis tu n'en as plus eu, et puis tu en as acheté un troisième.
- J'ai fait des erreurs. Qu'est-ce que tu veux que je te dise?
- Que je suis ton maître. Tu n'as qu'à le dire et tu en auras plein. Plein d'argent! D'ARGENT! DE L'OR ET DE L'ARGENT!

Les lendemains sont durs... Les rêves laissent des coulisses sur les murs... Il faut changer les murs ou peindre par dessus... 

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