2 janvier 2013

Sans tête

- Tu as vu? As-tu vu? Vas-tu eut? Mon cerveau a déclaré forfait. J’ai dit à mon crayon d’écrire et ma main n’a rien entendu. Le blanc de mes yeux reluit comme un drapeau de verre. Je rends les armes. J’ai envie de dire bonnet. Bonnet!
- Pourquoi ce mot-là?
- Fouille-moi! Ou ne me fouille pas. Aime-moi. Petit bonnet. Je n’ai plus ma tête. Je ne me censure plus. Tu n’es plus très beau. Il te manque une dent. On le remarque chaque fois que tu te mords la langue. Ça ne t’empêche pas de continuer à te mordre la langue…
- Je ne la mords pas! Je réfléchis.
- Ton cerveau est différent du mien. Dans le mien, il s’est formé un marécage visqueux où tout glisse. Rien ne s’accroche à ma mémoire. Ah, si! Ça me revient… Les coquerelles peuvent survivre des semaines sans tête.
- Les pilules font peut-être effet. Combien de semaines?
- Le temps de se reproduire avec le premier venu. C’est parfois une coquerelle, parfois un scarabée. En tous les cas, elle s’en fout qu’il soit laid. Elle ne le verra jamais.
- Retourne écrire. Vite. Je te sens inspirée.
- Je me sens coquerelle. Fais-moi un enfant.
- Chérie, franchement, tu n’y penses pas…
- Un bébé bleu! Fais-moi un bébé imbibé de sang, tout bleu, qui vagira entre mes jambes!
- On ne fait pas d’enfant au mois de septembre. On en a déjà parlé. On ne décide pas de tourner les pages du calendrier comme ça. Ça prend beaucoup de soleil, beaucoup de nuits… Nous avons toujours été d’avis que les enfants de septembre ne faisaient pas de bons écrivains.
- J’ai changé d’avis quand j’ai arrêté de réfléchir. Dans mon cerveau, j’ai creusé un étang dans lequel des quenouilles ont poussé. Au pied de l’une d’elles, un soir, un criquet m’a dit que je ne voulais plus d’écrivain. Que je voulais un enfant tout simplement.
- Et si cet enfant de septembre décidait quand même d’être écrivain? Y as-tu pensé? As-tu seulement pensé au talent qu’il n’aurait pas et à la merde qu’il écrirait?
- Je ne serai plus là pour lire ce qu’il écrira. Toi-même, tu ne le liras pas. Il sera écrivain dans le vide. Tous les écrivains qui écrivent dans le vide se lassent d’écrire. Il aura de bonnes chances de devenir heureux ou de faire l’école de cuisine. 
- Je t’ai déjà dit cent fois que je ne voulais pas d’un fils cuisinier. Peintre, encore ça va. Sculpteur, réalisateur de films, de vrais métiers, il y en a plein. Mon fils ne sera pas n’importe quel fils. Il sera au sommet.
- Il gravira l’Everest et photographiera le Yéti.
- Non! J’en ferai un écrivain célèbre! Je lui interdirai l’alpinisme! Je lui ferai écrire des histoires qui se passent sous terre, avec des taupes, et l’année de son suicide, on lui attribuera le prix Nobel!
- Je me demande… Si deux coquerelles sans tête se reproduisaient, quelle tête aurait l’enfant?
- Ma tête! Ta tête! Nous n’avons pas perdu la tête!
- Oh, bonnet… Si je te masse le cou, ce soir, enfonceras-tu ton doigt dans mon vagin?
- Le doigt. Comme d’habitude. Mais le doigt seulement. Il faudra attendre octobre pour le reste.
- Ce n’est pas tant l’ongle qui me dérange, que la bague qui érafle…
- Cette bague, tu me l’as offerte en gage d’amour. Tu t’en souviens. Elle ne faisait à aucun autre doigt que celui que tu avais choisi d’aimer.
- Oui. C’est cet amour-là, justement, qui m’érafle… Et ce doigt-là que j’ai choisi de ne plus aimer. Fais-moi un enfant comme si tu n’étais plus toi, comme si tu avais perdu la tête, pour ma survie à moi, pour notre survie à nous, fais-nous en un. Un vrai.

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