2 janvier 2013

Le deuil

Ma mère, j'ai tant de choses à dire à son sujet, et vous m'excuserez d'en parler si souvent, vous qui l'avez à peine connue, j'imagine votre désintéressement à l'égard de mes mots quand ils débutent par un appel à ma mère, vous connaissez la suite, mes mots redondonnent à n'en plus finir et je doute que vous en retiriez quelque chose, sinon qu'une vaine explication du deuil inconnu d'un enfant qui n'a plus sa mère, puisqu'elle est morte, je ne vous annonce rien, il n'y a pas de punch, si vous en espériez un, il aurait fallu que vous lisiez les romans en librairie, d'ailleurs je ne comprends pas ce que vous faites là à me lire tandis qu'il y a tant de grands romans à lire, tant de vrais auteurs, de vraies histoires à gober, à assimiler au point de les retenir par coeur et de les raconter à vos enfants à vous, vous, pères que vous êtes, pères déjà pères ou pères en devenir, car avouons-le, la différence est mince entre une mère et un père, sinon que chez l'une le cancer se présente dans le sein et chez l'autre, la prostate, je le dis à titre d'information, je ne m'y connais pas, mais n'empêche, vous m'excuserez de me répéter, j'ai tant de choses à dire au sujet de ma mère que vous m'excuserez, encore une fois, mais il viendra un temps où la vôtre aussi sera morte, et vous aussi vous aurez envie de parler d'elle, et d'expliquer cette manie qu'elle avait de perdre ses lunettes et de les retrouver sur son nez, et de ses recettes qu'elle croyait avoir inventées alors qu'il y avait une raison pour laquelle elles n'avaient pas été inventées, et c'était qu'elles étaient indigestes, et ses jeux préférées, ses casses-têtes, ses cartes à jouer devenues huileuses à force de se les passer sur une table trempée de bols à soupe, sa toux, son asthme, sa vie, sa mort dont elle n'est pas encore au courant et qui j'espère, ralliera les troupes, fera parler, même si je n'ai pas de drapeau et qu'il n'y en aura peut-être jamais, en vérité, sauf pour la lune, on ne fournit jamais de drapeaux parce qu'une morte, ce n'est rien, ça crève et ça s'enterre, sinon ça s'incinère, dans un feu de joie dont on récolte les cendres qu'on pleure entre fils & filles, et ça se hume en privé, le dimanche après-midi, les narines collées dans le fond de l'urne, dans la honte d'avoir oublié d'avoir assez aimé, et puis on oublie, mort après mort, que la mort d'un autre effacera celle de l'autre, et que chaque nouvelle souffrance guérit la précédente, même si on lit pour ne plus guérir, même si le deuil nous fait écrire en malades et qu'on espère que ceux qui nous liront y penseront à deux fois avant de balayer du revers de la main le texte d'un auteur qui, d'emblée, s'excusait de parler de la mort de sa mère, le deuil ne se guérit pas. Il arrive parfois qu'on souffre moins que hier et puis c'est tout.

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