2 janvier 2013

À ceux qui ont le temps de lire

Et non, je ne vais pas vous emmerder avec une autre histoire. Je ne vous ferez pas perdre votre précieux temps. Je serai concis. Promis. Vous avez un certain nombre de minutes à m'accorder et il ne faut pas que je le dépasse. Mais puisque vous avez déjà commencé à lire et que vous poursuivez votre lecture, aussi bien en profiter. L'amour, ça ne s'embrasse pas. Ça ne se sent pas ou ça se sent mal.

Mes mots ont intérêt à ne pas vous décevoir. Votre temps est précieux. Il faut que mon récit soit efficace. Je ne m'éterniserai pas sur mes envolées poétiques, ni sur mes descriptions, visage, nez, bouche, etc. Ah. Et cetera. Ça, vous aimez ça. Quand je dis et cetera, ça veut dire que j'abrège. Et ça veut dire que vous gagnez du temps. Plus de temps pour vous, c'est plus d'amour pour moi. Si le texte finissait là, tout de suite, vous m'aimeriez et je pourrais dormir tranquille. Mais non. Tout de même, si vous avez commencé à lire, c'est qu'il faut bien que j'énonce quelque chose. Une vérité ou un mensonge. Une histoire ou une allégorie. Un elfe ou une grotte. Quelque chose!

Attendez. Ça vient. Non, n'attendez pas. Enfin, lire ou regarder les aiguilles d’une montre. C'est pareil. Vous connaissez la vitesse à laquelle vous lisez. Cinq mots par secondes. Disons quatre pour ceux qui ont bu. Le nombre de mots que vous venez de lire divisé par quatre, ça fait soixante. Soixante secondes. Une minute. Je vous ai fait lire, ou perdre votre temps, pendant une minute. Rien de dramatique.

La caissière de l’épicerie peut facilement vous faire perdre le double en cherchant le code de l’artichaut. Vous n’avez jamais acheté d’artichaut, je sais, mais n’empêche que. Bon. J’ai préféré écrire « bon » plutôt que de terminer ma phrase pour vous faire économiser du temps parce que je savais que vous vous imagineriez la suite. Même si vous ne vous l’êtes pas imaginée, ce n’est pas grave. N’est pas auteur qui veut. Et auteur qui le veut parfois ne sera peut-être jamais auteur. Et cela, même s’il le veut souvent.

Nous en sommes à 364 mots. Un de plus et quiconque aurait lu un mot par jour aurait pu passer l’année entière à lire ce que vous avez lu en 91 secondes. Votre rapidité est admirable. Je me demande encore si vous lisez pour vous en débarrasser ou s’il y a autre chose. Ceux qui lisaient pour s’en débarrasser, je pense qu’ils ont cessé de lire au troisième paragraphe. Quand j’ai dit « attendez », ils n’ont pas attendu. D’un regard furtif, tout au plus en dix secondes, ils ont balayé le reste de mon article et l’ont « liké » sur facebook avant de s’en remettre aux photos qui les intéressaient. Vous qui êtes restés, pourquoi ? Je me demande. À quoi bon continuer de lire ce texte si je m’efforce de l’empêcher d’avancer ? Peut-être attendez-vous la phrase intelligente que je colle à la fin de chaque paragraphe ? L’amour, ça ne s’embrasse pas. Ça ne se sent pas ou ça se sent mal.

Des phrases de ce style-là, je n’en écrirai plus. Désormais, c’est entre vous et moi. C’est une compétition. Qui sera le premier à cesser de lire ou à cesser d’écrire. Nous en sommes à 561 mots. 140 secondes. Vous avez dépensé deux minutes. Je n’écris pas aussi vite que vous lisez. Je mets peut-être quatre secondes à écrire quatre mots. Une seconde par mot. 561 mots. Pour moi, c’est 561 secondes. C’est neuf minutes. C’est sans compter le temps où je vais pisser. Je perds deux minutes chaque fois que je vais pisser. J’y vais une fois toutes les demi-heures. Tous les 1800 mots, je perds deux minutes aux toilettes. La compétition n’est pas juste. Vous serez toujours plus rapides que moi. Si vous décidiez d’arrêter de lire, même si je vous donnais une raison de le faire, je ne le saurais que bien plus tard. Et je continuerais d’écrire dans le vide, convaincu qu’il me reste quelques lecteurs à soutenir pendant quelques heures, alors qu’en réalité, il n’y en a plus. Tous ont déserté le terrain et m’ont laissé seul à m’expliquer, à moi-même, pourquoi suis-je le seul à m’expliquer que je suis le seul à m’expliquer que je suis seul.

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