22 avril 2012

Le chien d'encre

Il paraît qu’en avalant l’encre d’un crayon, d’abord on s’étouffe, puis on transcende les mots au point de les voir en face de nous, comme sur l’écran d’un Ipad dixième version. Si la rumeur est vraie, mon chien devrait en ce moment même commencer à faire glisser ses pattes devant lui, sur l’écran tactile que l’ingestion d’encre lui a fait halluciné.

Mon chien ne bouge pas. Cette rumeur me semble un canular. D’habitude, on ne perd rien à croire aux canulars, sauf peut-être l’estime de soi, la fierté et l’orgueil, des sentiments qui n’en sont pas vraiment. Moi, j’ai perdu mon crayon. Vidé de son encre, maintenant il n’est bon qu’à rayer le papier de traits invisibles. J’ai demandé à mon chien de gratter ses dents sur une page de mon cahier afin d’y tracer une lettre, A ou B, mais jamais il n’a ouvert sa gueule. Je ne peux même pas former de lettre à partir de la salive bleutée claire dont ses babines ont enduit mon cahier. Les flaques de salive dessinent des O. O. Il manque au moins six lettres pour faire ouragan.

Ce chien est nul pour écrire. Il est couché à mes pieds comme moi quand j’étais petit, quand je dormais sous la table, aux pieds de mes parents, quand ils buvaient en jouant aux cartes. Je m’endormais malgré les cris, les baisers, les victoires, les défaites et les claques. À l’aube, maman me portait de sous la table jusqu’à ma chambre. Aussitôt, je débordais de mon lit pour aller me coucher dans un coin de mon placard. Je suis un chien, peut-être, l’ai-je toujours été, mais les chiens qui s’obstinent à ne pas écrire les mots que je leur demande, je les déteste tout autant que ce crayon qui n’écrit plus mais qui s’obstine à écrire des mots que je ne comprends pas.

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