22 avril 2012

S'arracher la tête

Je suis prisonnier. Les barreaux, je m’en fous, qu’on m’en mette tant qu’on en veut, devant mes yeux. Les barreaux, il n’y en aura jamais trop. Ce qu’il y a de trop, c’est ma tête. C’est mon crâne. Mes arcades sourcilières qui confinent l’immensité de ma vue à un regard de surface. Je suis prisonnier de cette tête. J’aimerais la transcender, l’ouvrir, la décortiquer par le dedans, la disséquer; d’un geste irréversible, m’arracher la tête et observer, le temps que je meurs, une seconde ou deux, les galeries qu’ont creusées mes neurones au fil du temps. Voir là-dedans les raisons de ma mort et comprendre, surtout, savoir, que mon cerveau avait existé.

Ma mort n’étouffera pas l’odeur abjecte à laquelle le monde se plie. Le monde peuplera.  Les écrivains écriront. Les arbres pueront leurs chiures d’oiseaux sur un monde qui écrit que le monde peuplera, que les écrivains écriront. Ma mort ne sera qu’une touffe de poil dans la gorge d’un chat. Sitôt recrachée, si vite oubliée.

J’hésite encore à m’arracher la tête. On ne décapsule pas une tête de ses épaules comme le bouchon d’une bouteille. Il y a des outils dont il faut savoir se servir. La plupart ne fonctionnent qu’à petite échelle : un titre-bouchon me perforerait la gorge bien avant qu’il m’ôterait la tête. D’autres, comme les scies électriques, ne fonctionnent qu’à condition d’en saisir le mécanisme d’enclenchement. Ce n’est pas simple de se suicider. Ça demande une maturité, dans le désir de se voir par le dedans, mais aussi dans la compréhension des objets dangereux que le monde a mis à notre disposition. 

Aucun commentaire: