22 avril 2012

Sur la tristesse

Je l’avoue, je suis dépendante. J’avoue ma dépendance. Dès qu’un orage éclate, je cours dans les rues, je noircis l’asphalte par ma détrempe et ouvre ma gueule sur le ciel. J’engouffre le vent. Je bois la tempête. Je bois jusqu’à ce que ma détresse s’époumone, sur un banc, et multiplie mes larmes par la pluie.

Je pleure parce que mes cheveux frisent et que je ne les vois pas friser. Je pleure parce que les hommes vivent sous de ridicules parapluies. Je pleure à m’en déboîter la mâchoire. À grincer des dents, je me disloque comme si mon menton ne m’appartenait plus. Mes ongles scarifient mes joues. J’aurais dû les ronger. Ils pèlent de minces bandes blanches sur ma peau rose.

J’ai une dépendance à la tristesse. Le bonheur m’ennuie. Je ne pourrais pas être astronaute. Mon envie est trop grande, quand j’y pense, de me jeter dans le premier trou noir que les fusées croisent.

Je plains les parapluies et surtout les hommes qui s’en servent. L’aversion que je porte envers les cheveux secs n’a d’égal que la pesanteur du soleil. Avec moi, il faut que ça pleuve. Il faut que ça se noie. Il me faut boire tout ce qui permet de geindre des sons qui ne s’écrivent pas.

Quand la pluie ne mitraille pas les fenêtres de mon appartement, je brise mon silence en criant par la hotte du four. J’espère que ma tristesse voyagera par les conduits d’aération jusqu’à mon voisin d’en haut. J’espère un peu qu’il descendra, sans parapluie ni ambulance, répondre à mes appels et que nous pleurerons ensemble, bordés par les foulards blancs que la brume dissipe dehors.

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