22 avril 2012

Le jour d'après demain

1

- Demain je serai encore à Paris. Je reviens après-demain. Dimanche. Le huit avril, à dix-sept heures. On se voit dans deux jours!

J’ai du mal à calculer le temps. Deux jours, c’est deux nuits. C’est le jour, puis c’est la nuit. Puis c’est encore le jour, puis encore la nuit. Il n’y a ni jour ni nuit. C’est toujours l’un et l’autre, les deux à la fois. Il y a dans le ciel plus d’étoiles qu’il n’en faut pour fabriquer des centaines de jours, des milliers de nuits, sur d’autres planètes, dans d’autres galaxies. Les jours ne sont pas des jours. Ils sont des nuits, des nuits avalées par un voile bleu de soleil.

- Oui.

Là, c’est la nuit. Je lui ai dit que je la verrais dans deux jours. Dans deux jours, ce sera le jour. Ce l’est déjà, mais ce ne l’est pas encore. C’est la nuit, mais ça ne le sera plus. Le soleil se lèvera deux fois. Au calendrier, ça ne changera rien. Nous ne changerons pas de mois. C’est avril et ça le restera.

- On ira au restaurant si tu veux.

Je préfère le cinéma. On s’y rend facilement en autobus. Il en passe un aux cinq minutes. Et l’horaire du cinéma est d’autant plus facile à comprendre : dès qu’il commence à faire noir, il y a des films. Les restaurants sont plus compliqués. Ceux qui offrent des petits-déjeuners ouvrent leurs portes vers sept heures. Les autres n’ouvrent qu’entre onze et quatorze, puis entre dix-neuf et vingt et un. Il faut savoir où, et surtout quand avoir faim. La nuit, c’est fermé. C’est trop tard pour avoir faim. Il fallait y penser avant. Tant pis pour ceux qui ont dormi de quatorze à vingt-deux.

- Oui.
- Le Sancha Pasta. C’est un restaurant italien. Ça t’irait?

Avant, pendant et après les représentations, le cinéma offre des repas. Des nachos, du pop-corn, des smoothies, des jujubes, etc. Dans les restaurants italiens, on mange des pâtes. Les spaghettis ont la forme de cheveux mouillés. La pâte des lasagnes a la forme de gaufres. Le goût est le même. C’est la façon de les manger qui change. Les spaghettis, on les enroule autour d’une fourchette. La lasagne, on la coupe en bouchées avec un couteau. Mais les deux sont nappés d’une sauce qui tache le menton.

- Oui.
- Bien! C’est sur la neuvième. On se voit après-demain!

Après-demain, c’est la journée qu’elle a choisie. C’est juste après cette nuit, et après le jour de demain, et l’autre nuit qui suit. C’est ce jour-là que je devrai me rendre au restaurant, sur la neuvième avenue, juste après la huitième, entre dix-sept et vingt et une heure. Ça aurait été moins compliqué si elle l’avait indiqué sur mon calendrier. Ou sur un post-it. Ou si elle avait mentionné la date à mon chien. Lui au moins, il m’aurait aidé à compter les jours et les nuits. À deux, on se trompe parfois, mais jamais sur les dates.
- Bye.

Bye. C’est une façon de dire au revoir. Il y a un geste de la main qui vient avec. C’est le geste qu’on utilise, quand on veut partir sans faire de vague, sans provoquer l’attente d’un bisou ou d’une accolade. Mais au téléphone, il n’y a pas de geste. Il n’y a que le bye, froid, sans lèvres ni sourire.

2

- T’es où?

D’abord, le téléphone a sonné. Je me suis habillé, au cas où. Ensuite j’ai répondu. Elle m’a demandé j’étais où. J’étais au téléphone.

- Je t’attends au restaurant depuis une heure.

Il était dix-huit heures quand elle a appelé. On ne s’était pas donné rendez-vous plus tard? On n’avait pas dit que le Sancha Pasta ouvrait ses portes à dix-neuf? Ou alors j’étais le seul à l’avoir dit, ou à croire que nous l’avions dit; ou alors je l’avais pensé, mais comme c’était son restaurant à elle, je n’avais pas osé parler de l’ouverture des portes. C’est ça. Je pense que parfois, à force de trop penser, j’oublie de parler.

-  Ah oui?
- Oui.
- T’as fini de manger alors? On pourrait aller au cinéma!

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