22 avril 2012

Les vrais écrivains

Je n'écris pas. J'écris aussi peu que les arbres qui, de leurs racines, se forment des jambes, créant au hasard du bout de leurs branches un arc à la forme du mot jupon sur le ciel. Aussi peu que l'eau s'écrit sur le feu en nappes de fumée, je n'écris pas plus que mon propre souffle qui, à la moindre voix critique, râpe ses silences.

Je m'émonde. Je me brouille. Je ne suis pas un écrivain. Ce que j'écris, je l'écris à la laideur de ce que mes doigts ne savent pas écrire. Ce que je vis, je le vis dans la crainte que les arbres vivent à ma place; que leurs feuilles ne dessinent mieux que moi les lignes du ciel au-dessus de ma tête. Les arbres ont dressé au-dessus de moi un toit inhumain à travers lequel je perçois parfois quelques boutures de ciel, bleues ou grises. Le ciel n'a pas de profondeur. Il est soudé au feuillage qui, s'accaparant les nuages, les ont fendillés comme autant de fissures sur le ciment d’un trottoir.

C'est au pied des arbres que les fourmis maudissent mes pieds à moi. Je ne suis pas respecté des insectes. Ils piétinent ma peau comme s'ils ne se sentaient pas concernés par mes mots. La nature, c'est l'ennemie jurée. Il faut la raser. Il faut tout raser jusqu'à ce que tout soit plat. Alors mon corps, plus grand que les brindilles que nous aurons consenti à faire survivre, raflera le ciel. Ma tête, débarrassée des arbres qui l'encombraient, demeurera l'unique perchoir des oiseaux. Mais comme il n'y en aura plus, de ces oiseaux qui picorent le bout de mon crayon, j'aurai tout le temps d'apprendre à écrire comme les vrais écrivains.

Aucun commentaire: