22 avril 2012

Les yeux dans les yeux

L’amour de deux personnes s’entend parfois, au soupir de l’une quand l’autre rigole. Mais il se voit surtout, quand le soupir passe au sourire. Alors les amoureux se regardent, complices l’un et l’autre, et s’excusent presque d’avoir ri et souri.  L’amour est dans le regard. Les bras et les jambes n’ont rien à faire de plus que ce que les pupilles ont déjà fait.

Dans les soirées, quand il y a du vin, les amoureux trinquent sans se regarder. Leurs pensées suffisent à se voir l’un et l’autre en train de trinquer les yeux dans les yeux.

L’amour, c’est deux regards qui ne se regardent pas. Mais c’est deux pensées qui ne cessent de penser à se regarder.

- En tout cas mon Gilles, je te le dis, l’amour c’est comme un nœud papillon. Ça te rend chic, ça t’habille, ça te serre autour du cou, mais ça te fait jamais voler comme une moto!
- Une moto?

Dans les soirées, quand il y a du vin, Normand parle de moto. Il parle de moteur. Moi, je parle d’amour. J’en parle sans en parler. Avec mes yeux. J’y pense. Et je pense que la femme de Normand préfère m’entendre penser plutôt que d’écouter son mari.

- On devrait faire ça plus souvent, des soirées de couples chez vous mon Gilles! Toi, moi, ma Nancy, ta Monique. On s’entend bien ensemble!

Nancy doit avoir trente ans. Elle ne les fait pas. Elle a l’air de trente-deux. Si je m’amusais à reproduire sur papier le tatou de son bras, je n’aurais pas assez de trente ans pour dessiner le serpent de son avant-bras. Ma vieille Monique a cinquante ans. Elle dit qu’elle aimerait ça, elle aussi, se faire tatouer un serpent sur le bras.
- T’as pas besoin de te faire tatouer de serpent Monique! Tes rides font la job!

Je pouffe de rire. Monique soupire. Je me tais. Je racle mon silence et elle me sourit.

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