9 janvier 2012

Interactions sociales

Il y a toujours mon chien qui dévore des canards en plastique sur le divan du salon. Il aime croire que ce sont là de vrais canards de chair. Il ne sait pas ce que sont les vrais canards. J’ai beau lui dire que les vrais canards lui casseraient la patte avec leur bec et s’envoleraient sans remords. Il persiste à dire qu’il aimerait en rencontrer un. Un vrai. Question d’avoir des interactions sociales.

- Je veux évoluer socialement, qu’il dit. Je ne veux pas finir ma vie avec un objet de plastique dont les seuls poils sont ceux que je me suis moi-même arrachés.
- Je t’avertis, les vrais canards vont te pincer les oreilles et courir après ta queue.
- Bien. Plutôt que ce soit moi, j’aime autant que ce soit eux.

***

L’année passée, pour son anniversaire, je lui avais acheté un magret de canard. Il ne l’a même pas mangé. Il l’a saisi entre ses pattes. Il l’a léché. Avec son museau, il l’a poussé sur deux mètres. Après quoi il lui chantait cui-cui. Bref, mon chien ne sait pas socialiser.

- Mange-le! j’ai crié. C’est un vrai canard de chair celui-là!
- Je socialise mal avec les morts. Donne-moi un vrai canard volant.
- Non. Pas tout de suite. Il va te blesser. Tu n’es pas encore prêt à dialoguer avec les vrais canards.
- Et c’est toi qui vas m’apprendre peut-être? Pfah! Tu ne sais même pas comment faire avec les humains!

Bon. C’est vrai que, cette fois-là, mon chien s’est débattu avec son magret tout autant que moi avec cette fille que j’avais invitée à dîner. Elle s’appelait Kornia. Je lui avais préparé un magret de canard. Je l’avais fait brûlé. Je l’avais donné au chien. Mais si ça c’était si mal terminé entre elle et moi, c’est parce que je lui avais dit que ses cheveux étaient drôles. Et dire le mot drôle avec une fille, ce n’est jamais drôle. Pour reprendre les choses en main, j’avais décidé de caresser ses cheveux. Enfin, j’avais brisé sa bulle. Voilà. Elle était partie plus tôt que prévu.

***

- Mon chien, je vais t’apprendre quelques règles. D’abord, quand tu rencontres un canard, il ne faut pas que tu brises sa bulle.
- Sa bulle? Tu parles d’un canard ou d’un poisson? Parce que les poissons, moi, ils me font un peu peur. Encore si je n’avais pas peur de l’eau ça pourrait aller...
- Non, la bulle c’est un dôme. Un dôme imaginaire dont s’enveloppent tous les êtres sur terre, y compris les canards. Le dôme a un diamètre d’environ, plus ou moins, la largeur d'une télé, enfin, ça dépend de l’animal. Tu n’y entres jamais à moins d’y être invité. Compris?
- Comment je fais pour qu’un canard m’invite dans sa bulle?
- D’abord tu lui dis bonjour. Mais tu ne fais pas cui-cui. Jamais cui-cui. Si tu veux faire un son, tu fais coin-coin. Tu dis salut joli canard.
- Coin-coin?
- Oui, c’est la règle chez les canards. C’est la façon dont les canards se font acceptés par d’autres canards... Et quand tu voles, tu voles en V.
- Quoi? Il faut que j’apprenne à voler?

Il n’y a jamais personne qui veut venir chez moi. Mais il y a toujours mon chien qui grignote ses canards en plastique sur le divan. Une fois qu'ils n’ont plus de tête, il se pratique à voler. Ça n’a rien de gracieux. C’est drôle. Je dis le mot drôle et mon chien me demande la porte :
- Je veux m'envoler dehors!

Je lui ouvre la porte. J’observe son poil blanc se mêler à la neige. On dirait qu’il n’existe plus. On dirait qu’il n’a jamais existé. On dirait qu’il n’a jamais représenté que mon incapacité à socialiser. Pourtant, je ne suis pas du genre à inventer des animaux là où il n’y en a pas. Ce matin, j’ai reçu un appel de Kornia. Elle m’a demandé comment j’allais.
- Bien, j’ai dit. Maintenant, j’ai un chien et il sait voler. Tu peux venir le voir si tu veux.

Kornia viendra dîner ce soir. Je vais socialiser avec elle. Je frappe à ma porte. J’appelle mon chien afin qu’il rentre. Si Kornia veut le voir voler, il faut qu'il soit là. Il ne vient pas. Il m'a laissé tombé. Il y a des flocons qui tombe sur l’air. Des flocons blancs. Des miettes de chiens.
- Ça y est, je me dis. Mon chien s’est fait bouffer par les canards...

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