6 janvier 2012

La faim (je suis gros)

Je bouffe. Et puis j'ai soif. Alors je bois et ça me donne faim. Alors je bouffe. Je bouffe alors ça me donne soif. Alors je bois. Et puis je bouffe.

Je suis gros. Je suis plus gros qu’une personne grosse. Je suis deux fois plus gros que la plus grosse personne que vous connaissez. Pour avoir une idée de ma grosseur, vous n’avez qu’à imaginer que la plus grosse personne que vous connaissez a une soeur siamoise. Les deux soeurs sont jumelées par la bouche. Elles se bouffent et se digèrent à longueur de journée. L’une mange l’autre et puis la chie. Celle qui a été chiée se reforme et bouffe celle qui l’a bouffée. Les deux soeurs vivent comme ça. Elles passent leur vie à se faire bouffer et à se faire chier sans jamais atteindre le sentiment de ne plus avoir faim. Le poids de ces deux soeurs-là, c’est précisément mon poids à moi.

539 livres exactement. Dans la bibliothèque de mon salon, il y en a 171. Je les ai comptés. J’ai plus de livres qu’il n’y en a dans ma bibliothèque. Dans un seul de mes bourrelets, un tatoueur peut transcrire l’oeuvre de Marcel Proust. Mes fesses sont si grosses qu’on peut lire tous les tômes d’Harry Potter sur l’une et tous ceux de Twilight sur l’autre. J’ai dépassé le nombre réglementaire de livres qu’on s’attend à voir dans une bibliothèque de salon. 539 livres, c’est une librairie. C’est 1198 romans. C’est 302 bibles. C’est 197 dictionnaires. C’est 1645 bescherelles.

539 livres, c’est 326 pots de Nesquik en poudre. C’est 612 conserves de sauce Poutine St-Hubert. C’est 914 paquets de fromage mozzarella P’tit Québec. C’est 1225 boîtes de biscuits Ritz. C’est 1350 boîtes de Pringles crème sûre et oignon. 539 livres, c’est fichtrement lourd. Parfois, quand je pense à tout ce que je pèse, j’ai envie de faire comme les soeurs siamoises. Me manger, me chier, me remanger et me rechier. Tout cela sans jamais engraisser.

Une fois, je me suis fait vomir. J’ai vu ma pizza défiler sous mes yeux. J’ai vu le fromage et le pepperoni flotter sur l’eau de la cuvette. L’odeur était bonne. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y plonger la tête. J’ai bouffé tout ce que mon corps n’avait pas pu digérer. Après, j’ai à peine eu le temps de sourire que j’ai tout vomi encore. Puis j’ai mangé encore. Puis j’ai revomi et remangé. Entre la cuvette et moi, il y a un système qui s’installe. Un système semblable à celui que les deux soeurs siamoises vous ont expliqué.

Je suis gros. Plus gros que le o du mot gros. Du moment que je remplace le o par un i, je m’en retrouve amaigri mais d’autant plus gris. Je suis pogné. Entre la dépression et l’obésité s’opère un autre système. Tout se vomit. Tout me fait chier. Tout me bouffe. Je bouffe tout. Je me fais chier. Je m’ennuie. Tout m’ennuie. Je bouffe. Je vomis. Ça me fait chier. Je bouffe encore. Je bois. Mais quand je bois je vomis encore.

Alors je bouffe.

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