6 janvier 2012

Le cactus chauve

Le cactus chauve

par William Drouin, 15 décembre 2011, à 20:07

Ça a fait un petit peu mal. Rien de grave. Je ne suis pas le premier à qui ça arrive. Y a des tas d’animaux qui endurent pire que moi. Les koalas, par exemple, quand ils se perdent dans le désert après que leurs chameaux aient pris la fuite, ils doivent trouver un arbre où dormir avant que la nuit tombe. La seule végétation à laquelle ils peuvent s’accrocher, c’est le cactus. Et ça, ça fait mal.

Dans le Sahara, on dit qu’il existe quelque part un cactus sans épine. On l’appelle le cactus chauve. Tous les koalas égarés qui le croisent s’y arrêtent pour dormir. Au pied de ce cactus, un lézard jaune fouille vos poches. C’est comme un doorman. S’il trouve de quoi bouffer dans votre poil, ne serait-ce que des miettes de cacahuètes, il vous fait monter. Sinon, vous devez dormir dans le trou que la taupe a creusé.

Dans le trou de la taupe, y a des branches mortes auxquelles vous pouvez vous accrocher. Y a une odeur, genre feuilles de laurier. Avec un peu d’imagination, vous arrivez à faire semblant que c’est de l’eucalyptus. Vous dormez un peu. Deux heures, c’est déjà pas mal. Le lendemain matin, quand vous sortez du trou de la taupe, le lézard jaune vous fait payer votre séjour :

- Deux heures dans le trou de la taupe, c’est vingt poils gris! il dit.

Les lézards adorent les poils de koalas. Ils en font des pinceaux. Ils vous les arrachent avec un outil fabriqué à partir de pierres rouges ou de pinces de crabe. Allez savoir. Les koalas qui ont dormi dans le cactus chauve, eux, doivent payer leur séjour beaucoup plus cher. Ils payent avec les poils blancs de leur visage. Chaque poil blanc vaut dix poils gris. Une nuit dans le cactus coûte environ deux poils blancs. Les koalas perdus au Sahara qui croisent le cactus, d’habitude, y restent plus d’une nuit. Ils deviennent chauves. C’est un peu triste à voir.

Une fois dépouillés de tous leurs poils, les koalas sont expulsés. Sous le soleil, leur peau rougit. Ils marchent, brûlés jusqu’à l’os. Ceux qui ne retrouvent pas leur chemin reviennent au trou de la taupe. Ils s’arrachent des bouts de peau brûlés qu’ils machandent ensuite en échange d’un peu d’eau.

Avec le sang des koalas, les lézards jaunes fabriquent de la peinture. Quant aux poils, ils s’en servent pour peindre d’énormes flèches sur le sable. Ces flèches guident les futurs koalas égarés vers l’emplacement du cactus chauve. Évidemment, puisque le vent efface toujours les flèches, les lézards ont toujours besoin de nouvelles couleurs, et toujours besoin de nouveaux pinceaux, et de nouveaux poils.

Récemment, les lézards jaunes ont cessé de peindre des flèches. Ils stockent tous les pinceaux qu’ils fabriquent dans des boîtes qu’ils vendent ensuite aux salamandres, cela en échange de graisse de chameau. Ces chameaux n’ont pas de propriétaire. Ah. Si les koalas savaient ça. Ils réclameraient leurs chameaux, prétextant que ce sont les leurs :

- Ce sont nos chameaux! qu’ils diraient. C’est notre graisse de chameau à nous! On voyageait sur leur dos bien avant de vous connaître!

Y aurait la guerre. Du sang. Des poils arrachés. Bref, rien de très différent. C’est triste. Quand bien même je pleure. Ma douleur, comparée à celle des koalas, est banale. Je me suis arraché un cheveu. Un seul. Un gris. Je le tiens encore entre mes doigts. Je le compare à celui que je me suis arraché hier. Y a pas beaucoup de différences entre aujourd’hui et hier. Les deux cheveux sont un cheveu. Les deux sont deux cheveux.

Demain, quand je m’arracherai un autre cheveux, je le placerai avec les autres, entre deux pages de mon cahier. Peu importe les mots que j’y aurai écrits, mes trois cheveux arrachés en feront un territoire qu’ils transformeront en pays. Ils feront beaucoup, beaucoup de pinceaux avec ça.

Je hais mes cheveux. Plus je les hais, plus je les arrache. Plus je les arrache, plus j’en parle. Bientôt, un centième cheveu gagnera mes pages. Savez-vous. Mon histoire de koalas, au départ, elle était belle. Mais il a fallu que j’y ajoute le cactus chauve. Il a fallu que je parle de moi et de mes cheveux. À la fin, je me demande toujours ce qui importe le plus entre :

1. Vous raconter une histoire

2. Vous parlez de moi-même

3. Vous dire n’importe quoi.

Fou de même. Les koalas, la savane, les palmiers. Tout ça. Merci Monique. Si t’étais belle, je t’appelerais ma tante. Mais t’es trop poche à la wii fait que mange de la marde.

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