6 janvier 2012

Les cheveux de Xavier Dolan

J’aurai les mêmes cheveux que Xavier Dolan. Pour fuir les problèmes, je me dis qu’un jour, j’aurai les mêmes cheveux que Xavier Dolan. J’aurai les mêmes vêtements, les mêmes chaussures. Les mêmes bras un peu poilus, les mêmes jambes poilues. J’aurai ses épaules, sa personnalité, sa bouche quand il ne parle pas, quand il se tait, quand il n’est rien, quand il est moi. J’aurai sa vie, son bracelet. Tout. Je l’aurai, lui. Et s’il porte un collier, j’aurai le collier de Xavier Dolan.

J’aurai des lunettes à larges montures. J’aurai un nom qui commence par X. Xavié. Ou Xavhé. Ou Xavier. Pourquoi pas Xavier. Je ne suis pas obligé d’être fils des Dolan pour m’appeler Xavier. Il y en a plein, des Xavier qui ne sont pas Dolan. Des Trudel. Des Marchand. J’ai le droit.

J’achèterai tous les films de Xavier Dolan pour rayer son nom et inscrire le mien à la place : Xavier Dolan. Dans ma cuisine, il y aura un tas de films que j’aurai réalisés. Il y aura un bescherelle sur un comptoir. Et de la céramique au-dessus de mon four. De la céramique vert lime. Mon four sera jaune et dans mon salon, il y aura moi. Moi sur du tapis, doux et beige, et brun et rouge. Sur la table du salon, il y aura de la vaisselle sale dans laquelle Xavier Dolan a mangé.

Par terre, aussi, il y aura une jeune fille amoureuse de Xavier Dolan. Elle aura des fesses dans un jean straight-cut. À l’instant où ses fesses effleureront la patte de la table du salon, je me mettrai à considérer mes chances de devenir une patte de table :

- Mes chances sont assez minces, me dirai-je, compte tenu que la patte a décidé qu’elle était faite en bois avant que je me sois rebaptisé Xavier Dolan...

Mes chances de devenir un tapis, quant à elles, seront nulles. Je le sais. Une fois, j’ai tenté l’exercice de me fondre corps et âme dans les couleur de mon tapis. Je me suis mêlé au tissage pour finalement y resté coincé, immuable pendant trois jours. Trois jours coincé dans le doux beige, dans le brun-rouge. Pendant trois jours, la tapisserie s’est moquée de moi. Elle m’appelait Stagnance :

- Hey! Stagnance! Bouge ton cul! La vaisselle se lavera pas toute seule!

De la salive coulait de ma bouche. Aucun mot. Que de la salive. Cette salive toutefois, je dois dire que je l’ai habitée. Tellement qu’elle est devenue à mes yeux, imaginairement, un super-savon-à-vaisselle que je me suis empressé de vendre à ma chienne de tapisserie en échange de quoi elle m’a remis sur pieds.

Trois jours, tout de même. Trois jours sans manger ni boire. Trois jours à endurer les insultes et les cris d’une tapisserie. Il a fallu trois jours avant qu’elle se décide à me soulever de là. Je me suis juré que plus jamais, plus jamais je ne ferais affaire avec une tapisserie bleu-pearl-harbor. Il y a des tapisseries avec qui ça clique, avec qui on signe des contrats à l’amiable. Il y en a des rouges, sympathiques. Des vertes, justes et équitables. Mais il y en a d’autres, comme celle de mon salon, pour qui la compassion ne veut rien dire. Celles-là, je dis, parole de Dolan, faites gaffe de ne jamais les coller sur vos murs.

***

Avec les cheveux de Xavier Dolan, j’aurai une caméra dans la main. Je filmerai la fille étendue sur le tapis de mon salon. Je lui inventerai un nom original. Genre Fragrance. Je la filmerai sous tous les angles. De haut en bas. J’aime regarder les filles quand elles dorment parce que, quand elles ne dorment pas, elles me demandent toujours d’arrêter de les regarder. C’est embêtant. Mais avec ma petite barbe presque rasée, Genre Fragrance me permettra de la regarder dormir.

La dernière fois qu’une fille s’est réveillée pendant que je la regardais, j’en ai fait des cauchemars pendant trois mois. Trois mois à repasser en rêve l’instant où elle s’était réveillée devant moi en criant :

- NON! J’AIME PAS ÇA LE CIRQUE! MOI C’EST LA DANSE CONTEMPORAINE QUE J’AIME!

Cet épisode malheureux ne se reproduira plus. Bientôt, j’aurai la barbe presque pas rasée de Xavier Dolan pour me protéger contre les situations inopportunes. J’aurai bientôt ses hanches maigres et sa mâchoire solide, ses dents blanches et son cerveau extrême-gros. Pour avoir tout ça, il faudra que je jette un coup d’oeil dans le bescherelle sur le comptoir de la cuisine. Il faudra que je me trouve là-dedans un temps de verbe qui puisse remplacer mon futur simple. Un temps un petit peu moins à venir. Un petit peu plus passé.

Le passé simple. La coiffure de Xavier Dolan fut mienne. Nah. Ça manque de vrai. Le participe passé, peut-être, ou alors le présent. Pourquoi pas. Je connais des gens qui disent qu’ils sont incapables de saisir le moment présent. Moi, je le trouve assez facile à saisir, là. Prenez la page 34. Le verbe mourir. Suffit de glisser le doigt sur la page du verbe que vous voulez dire et hop, c’est écrit. Indicadif présent. Je meurs. Que voulez-vous de plus? Qu’on parle à votre place?

***

J’ai les ai. Depuis que je les ai, j’ai des frissons dans le cou. J’ai le poil du crâne qui frise. Je n’ai plus besoin du miroir de la salle de bain. Je n’ai plus besoin de la lumière dans la salle de bain. J’ai les cheveux de Xavier Dolan. Je peux faire pipi dans le noir. Je vise toujours tout droit. Straight-cut. Comme si dans mon oeil il y avait une caméra infrarouge intégrée. Quand je fais pipi à côté, je ne reçois pas d’insultes. Les gens sont convaincus que je suis en train de réaliser un film dans lequel le personnage fait pipi à côté. J’adore ça. J’adore faire croire aux gens que ce que je fais est bon. J’adore l’art.

Genre Fragrance est toujours là, couchée par terre, le cul sur la patte de table. Je fais quoi avec elle? Je vous le demande parce que j’aime croire que vous avez réponse à tout. Mais je vous propose un choix de réponses. Parce que j’aime croire que la réponse, je la détiens déjà, quelque part en dedans de moi :

a) Tu la soulèves de là, comme la tapisserie a fait avec toi quand tu lui as vendu ta salive au prix d’un super-savon-à-vaisselle.

b) Tu éteins les lumières et réalises un chef-d’oeuvre cinématographique avec ta caméra infrarouge intégrée.

c) Tu te branles dans son chandail.

Je suis Xavier Dolan. J’ai 34 ans. J’ai devant moi Genre Fragrance, une jeune fille âgée d’à peine treize ans. Je ne peux pas faire n’importe quoi avec elle. J’ai une réputation. Vraiment, considérant tout le potentiel artistique dont je suis investi, comment pouvez-vous répondre c)?

Xavier Dolan ne peut pas faire tout ce que vous aimeriez que Xavier Dolan fasse. Xavier Dolan a des horaires à respecter. Xavier Dolan ne peut pas se branler dans n’importe quel chandail. Il lui faut de grandes motivations artistiques pour se branler dans un t-shirt.

C’est lourd, de porter les cheveux de Xavier Dolan. C’est très lourd. Je pense que je ne ferai rien avec le corps de Genre. Je vais la laisser là. Vous serez fâchés. Je sais. Vous direz que Xavier Dolan est une tapisserie, qu’il n’a pas de compassion. Je sais. Je suis beige-doux, brun-rouge. Mais j’irai chez le coiffeur demain. Et les choses seront différentes.

Demain, j’aurai les cheveux de Robert Charlebois.

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