7 juillet 2011

Ni si ni ça

Fais ni si, ni ça, elle disait. Chaque fois que je m’apprêtais à faire si, elle courait vers moi catastrophée en criant non, ne fais pas si, ça te tuera, et comme je m’apprêtais à faire ça, ou ça, elle doublait d’inquiétude et criait non, surtout ne fais pas ça. Ça va causer ta perte, tu avaleras de l’eau et ça te noiera; ça va causer ta mort et moi, j’aurai beau faire si, ça, ça pour te réanimer, ton corps mourra quand même lourd et inerte comme une guenille dans le miel.

Si tu fais si, elle disait, tes yeux s’éteindront et je ne veux pas les voir éteints. Si tu fais ça, la date à laquelle tu le feras deviendra la date de ta mort. Ton petit cerveau mort se mettra à battre des ailes, et papillon, il glissera sur l’herbe, transporté par des musiques qui n’existent pas. Il s’envolera quelque part au-dessus des maisons, léger comme le vide et moi pesante comme tout, je resterai là, idiote, à attendre de mourir moi aussi pour te rejoindre. 

J’attendrai dépressive malade tandis que toi, ton cerveau se sera évadé de ton boulet de corps. Il se mettra à pédaler plus vite que jamais, libre d’entrer dans mes rêves et de me faire voir des images qui ne sont pas les miennes.

Je sortirai du lit tous les matins en repensant aux images que tu m’as fait voir en rêves, en me disant que c’est possible, que les cerveaux morts s’envolent et traversent mes rêves pour me faire voir des crimes que je n’aurais jamais pu inventer, des horreurs et des personnages qui ne sont pas de moi. Je me mettrai à croire que je ne suis pas maître de mes rêves. Comme si c’était possible, que ton cerveau mort ait une emprise sur tout ce que je vois quand je dors.

À la fin, je deviendrai prisonnière de chacun de mes rêves. J’aurai l’impression que tu m’y parles. Dans mes rêves les plus profonds, même quand je voudrai me réveiller parce que je serai consciente de rêver, tu t’obstineras à me faire dormir jusqu’à la fin et ça sera toi, le cerveau sur le mien, celui qui, plus fort que moi, m’empêchera toujours d’ouvrir les yeux. 

Je rêverai ce que tu voudras que je rêve; des histoires que tu auras inventées pour me transmettre un message que je ne comprendrai pas parce que, déjà, je ne comprends même pas quand tu me parles alors imagine de quoi aura l’air notre communication onirique une fois que nous seront moitié morts moitié endormis.

Fais ni si, ni ça, elle disait, alors je ne faisais rien. Je la regardais dormir, simplement, fasciné par ses soupirs quand sa bouche s’ouvrait toute grande, comme si tout à coup son cerveau se faisait aspirer par quelque chose de plus grand, quelque chose d’assez fort pour décider à sa place des images en train de défiler sous ses paupières. Quelque chose, enfin, quelque chose de plus mort.

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