7 juillet 2011

Le monstre de muscles

Après des mois de musculation, il les avait enfin, ses muscles de béton. On ne les lui avait pas chipés par la poste, ni greffés par un docteur non, il les avait eus lui-même grâce à toutes sortes de machines à muscles qu’il avait entreposées chez lui : altères, courroies, pôles et poutres aussi, des ponts auxquels il se laissait pendre puis se hissait, haut et fort, pour se briser les muscles bien comme il faut avant d’admirer devant le miroir ses épaules énormes, gonflées de veines devenues insensibles avec le temps.

Ses muscles étaient pour lui une dépendance, tout comme pour certains la cigarette est une chose qu’il faut fumer toujours, lui, ses bras étaient une chose qu’il fallait toujours gonfler. À s’abîmer les muscles comme ça, sa dépendance était probablement aussi néfaste que toute autre, sauf que lui, il était fort comme un singe qui parfois je crois, prenait une pilule ou deux ça ne fait de tort à personne, il disait, qu’on n’en parlera à personne parce que, vu les muscles qu’il les avait, il décidait de tout ce que les autres disaient ou ne disaient pas.

Et puis les muscles sont comme les tatous. Ça effraie et ça domine. Mais le jour où ça n’est plus à la mode, c’est bien embêtant de faire disparaître tout ça. 

Chaque fois qu’il entrait dans un bar, il avait l’habitude de faire tout un éclat : il abordait les filles avec un très petit chandail blanc sur le dos, ou une camisole ou en tout cas, quelque chose d’assez serré pour qu’on y distingue à la fois ses mamelons, à la fois ses veines musclées comme des fleuves qui menaient on ne sait pas où mais bon, les filles avaient leur petite idée sauf qu’un soir, l’éclat lui a explosé à la gueule d’une façon que ce n’était pas comme il l’avait souhaité.

Il a semblé que, c’est bizarre, ce soir-là les filles n’aimaient pas les mecs musclés et au contraire, les petits gros étaient à la mode ce soir-là et c’est sur eux qu’elles se sont jetées, toutes, en manque de chair molle ou je ne sais pas quoi. C’était comme choisir la crème molle au lieu de la dure, et de la molle en vouliez-vous en voilàsse. 

Le musclé n’avait rien à faire dans la place, sinon que de jouer au billard avec ses bras si enflés qu’ils ne pliaient pas, sinon que de s’observer les biceps dans la salle de bain en se faisant croire que les filles ici ce soir n’ont pas de goût et qu’il est mal tombé, le pauvre, et qu’il vaudrait mieux revenir demain. Mais demain, en fait, demain c’était la même histoire. Tout ça est une histoire de mode et il faut s’y faire. Il faut accepter qu’un jour les filles aiment les muscles pour la sécurité, puis un autre jour, elles aiment le confort d’un mec bien dodu pour, encore, la sécurité.

*

Je répète qu’il les avait enfin, ses muscles, et il les avait gagné à fort prix, je veux dire, pas qu’il les avait achetés mais qu’il y avait mis toute son énergie et, nous n’en parlerons pas mais, les pilules qu’il avait prises une fois ou deux avaient certains effets secondaires dont il avait du mal à se débarrasser comme, par exemple, la perte des cheveux et le grossissement des orteils. Enfin, après l’épisode du bar, il a vendu ses machines à muscles. Il a même vendu sa machine préférée, celle où il s’assoyait tout le temps en écoutant la télé, sur un siège en cuir sous des altères ; celle qui s’était imprégnée de l’odeur de toutes les fois où ses fesses avait transpiré de douleur.

Il a tout vendu pour s’acheter bien assez de nourriture très grasse, fromage, chocolat et ainsi se rendre mou de la façon que les filles aimaient ça, mou et dodu. Il s’observait grossir dans le miroir, sans trop comprendre pourquoi il faisait tout ça et chaque fois qu’il gagnait un kilo, il avait cette danse humiliante qu’il faisait mais qui le rendait fier d’être gros. Il sautillait sur place, comme hypnotisé par les ondulations de ses bourrelets, et presque amoureux de ses pectoraux qui désormais étaient seins. 

Enfin gros, ça n’a pas pris de temps, il est retourné au bar en question, moitié muscles moitié graisse : il disait avoir pris du poids et il faisait exprès, je pense, de sortir son ventre comme sur le point d’accoucher d’un double-cheese pour que les filles arrêtent de le tenir à distance mais pourtant, elles continuaient de l’ignorer en commérant entre elles que ouf, t’as vu l’ancien musclé devenu gros, c’est clair qu’il n’a pas le temps d’aller à l’université parce qu’au lieu d’étudier il passe tout son temps à être soit gras soit top shape.

Enfin, l’ancien musclé a quitté le bar en se disant que oui, il faut accepter qu’un jour les filles aiment les dodus pour la sécurité, puis du jour au lendemain, qu’elles aiment qu’un mec ait un bagage intellectuel pour qu’il puisse se trouver un emploi pour leur sécurité.

*

Il a essayé, tous les soirs, de se construire un bagage intellectuel en écoutant des trucs intelligents à la télé, des documentaires emmerdants pendant lesquels il s’endormait parce que, de toute façon, l’université ne voudra jamais de lui parce qu’il n’a jamais fini son secondaire et puis, il disait, un mec moitié musclé moitié gros qui retourne au secondaire, ça ne couche avec personne, pas même avec la fille du bar qui trop soûle n’a pas d’endroit où coucher.

*

Alors vaut mieux être con qu’universitaire, il s’est dit; mieux vaut être gros que musclé, et mieux vaut être musclé que gros; mieux vaut ne plus rien faire et ne plus rien être que de retourner dans ce bar où toutes les filles aiment tout ce que je ne suis pas. 

Il n’est plus jamais retourné au bar en question. Dans sa chambre il ne se musclait plus, ni ne mangeait, ni ne se cultivait en fait, il étudiait les cordes et pensait à une façon de se pendre exactement sans douleur, sans souvenir ni chance de survivre je pense qu’il écrivait, ou alors il pleurait, je ne sais pas enfin, il dormait presque tout le temps.

C’est au moment où il devait se pendre que les filles du bar sont débarquées chez lui, un soir, comme ça, elles sont venues frapper à sa porte en disant qu’est-ce que tu fais là on t’attend. Comment, vous m’attendez, il a répondu, si vous ne partez pas tout de suite je vous noue le cou et vous serez pendues et elles ont dit oui, on a décidé qu’on en avait un peu marre de la sécurité.

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