1 juillet 2011

Ma maison en flammes

Mon erreur n’est pas de boire ce soir, mon erreur a été d’avoir trop bu hier, et si encore je buvais trop ce soir, je n’aurais qu’à me répéter la même réflexion quand je boirai trop demain, et ainsi de suite jusqu’à ce que je rage solitaire à propos de la répétition de mes phrases, et les phrases des autres pour me déculpabiliser, pour me sauver des eaux comme ça jour après jour et sauver les meubles et les électroménagers, le chien et les tortues, ma maison en flammes et moi dedans, brûlé mort, qui cherche encore à brûler les papiers que j’ai peut-être écrits mais dont je ne me souviens pas parce que j’avais trop bu.

Je ragerai soûl, agressif contre tous ceux qui sont partis parce qu’ils ont arrêté de boire quand le feu a pris, et je dis, si mon téléphone n’a pas encore fondu dans le feu, je les appellerai, tous, un après l’autre, pour leur dire qu’ils sont infidèles, empoisonnés par l’amour et la connerie de leur amitié, de leurs bagues, de la baise, toute leur connerie de vêtements qu’elles ont acheté pour lui, et le soutien-gorge qu’ils lui ont acheté à elle, je leur dirai ma façon de penser et je finirai en disant que je les tuerai, demain, tous, et s’ils sont déjà morts parce que je les ai tués hier, je lancerai mes menaces à leur répondeur au cas où un jour ils ressusciteraient et reviendraient à leur maison pour écouter leurs messages, en rentrant du restaurant, après la petite glace au chocolat qu’ils ont mangé le soir avec leurs enfants.

Je brûle mais je ne brûle pas, moi, dans ma tête, dans ma maison en flammes, je bois dans ma maison en bois et je dis que mes doigts me brûlent les gencives et mes dents brûlent mes ongles, mes ongles tombent comme des tisons sur mes pieds et mes pieds brûlent mes genoux qui eux brûlent le plancher et la table mais je ne brûle pas. Je joue avec ma tête. J’exploite l’imagination comme ça, comme les oncles s’imaginent leurs petites nièces femmes, leurs petites fesses dans la paume de leur main, je profite de mon cerveau à nu et je continue à avaler les gorgées qui m’éteignent au fur et à mesure que je m’enflamme. 

Je sais. Je suis au courant de ce qu’ils pensent. Je lis à travers eux, comme s’ils étaient mes propres mots, je sais ce qu’ils disent à mon sujet, que je suis dangereux pour les animaux, que je frappe sans crier, même quand je suis sobre, ils disent que derrière mes foulards il y a des dents et que je mords en silence, ni heureux ni triste je suis comme ça, cannibale indifférent et ils ont peur pour leurs enfants, ils ont peur que je brûle leur progéniture dans les berceaux et que je dérobe leurs draps pour m’en faire d’autres foulards et d’autres meurtres je sais.

Viendra le jour où un ami reviendra à moi, dans ma fumée, à peine visible il me dira tu as fait le feu, mec, tu as tué nos bébés, tu as bu leurs biberons, tu nous as tous tués et maintenant, tu es fier d’être le seul qui n’a pas péri dans l’incendie, toi le seul vivant, sauvé des eaux je te pardonne, parce qu’il faut bien que les humains se pardonnent entre eux je te pardonne toutes les morts et qu’est-ce que tu dirais si je t’emmenais sur la montagne, prendre une marche ou une glace au chocolat.

Mais je répondrai toujours la même chose, aux autres comme à moi-même, que le jour est mal choisi parce que j’ai trop bu hier, je suis fatigué je dis, hier a été dur, tout y est passé et ce soir, j’ai cette drôle d’idée de vouloir tout brûler et je vais te le dire à toi, que si je ne bois pas ce verre de vin qui m’attend, je pense que j’y passerai moi aussi.

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