1 juillet 2011

Déconstruction

J’ai les os qui s’émiettent à cause de vieilles fractures, d’anciennes chutes dont il ne faut pas parler parce que c’est honteux. J’ai honte. Je suis tombé cette fois-là, en faisant l’amour, par derrière la clôture sur mes vertèbres et par devant la pôle du drapeau dans ma nuque et cette fille qui disait tu vas mourir et je vais jouir, un appareil photo à la main elle disait, je vais photographier l’amour et la mort, les deux à la fois, et je serai célèbre si seulement tu pouvais sourire sur la photo. 

J’ai souri. Je n’en fais pas un cas, moi, j’ai les os comme de la poussière de craie dans mes muscles et ça me chatouille de douleurs dans les poumons, le coeur, la rate, mes os comme du silice me coupent les tendons et les nerfs et je saigne par dedans mais je n’en fais pas un cas, pas comme vous, je ne crie pas au meurtre que j’ai le cancer, que je vais mourir là exactement. Je n’ai pas peur. Je me tiens debout. J’ai un costume rigide. J’ai ce costume rigide fait de plâtre, d’acier de marbre, des jambières de bois et tout ce que les meilleurs artisans ont fait dans le domaine du corps et de l’art. De sorte que si je tombe, je tiens debout toujours. 

En dedans de moi, ça s’effrite mais jamais je ne m’effondre. Je reste amalgame de débris, compacte et solide, je marche comme une masse de béton mais en réalité, ah ça ne paraît pas, que je suis fragments de pierres. J’ai l’air de faire de belles phrases construites mais ça arrive, oui, que ça craque de partout et la syntaxe se déconstruit comme dans une chute ma gueule me dit ta gueule et meurs, et mes dents me mordent les lèvres et ma langue, comme ce char d’assaut sur cette mine, c’est possible qu’elle ait explosé, ma langue un soir une nuit, dans la lumière, les bombes et le sexe, et la tête des enfants malhonnêtes.

Depuis que je suis né, je vieillis pour me déconstruire. J’ai eu les bras, j’ai eu les pieds, et maintenant, comme les plumes des oiseaux, j’échappe un peu de peau partout où je passe. Je ne serais pas surpris de me voir demain avec un doigt en moins, un oeil de pirate, une chaise roulante ou chauve. Je perds à peu près tout. Plus j’écris, plus je vis, et plus j’en perds des bouts, et plus je me perds. 

Enfin je me suis fait greffer un crayon à la place du majeur. Désormais j’écris comme ça avec le doigt d’honneur, et je vous emmerde au moindre mot sur la page; je suis devenu hautain, méchant, et chaque fois que j’écris, je me venge de tous les os que vous m’avez brisés.

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