29 mars 2007

Prêt à mourir

Préface
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J’ignore si ma mère était soûle durant toute sa grossesse, si mes parents m’ont conçu avec des flammèches ou des pics, si j’ai été traumatisé par quelque chose ou si j’étais un enfant heureux; j’ignore mille et une choses et, plus je vieillirai, plus j’en ignorerai. C’est une loi intransgressible de la mémoire et si je n’écris pas absolument tout, tout, tout, je n’y pourrai rien : je mourrai comme l’être le plus ignare de la planète.
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1985-2007
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Naissance le 31 juillet 1985, à Verchères. Enfance à la fois douce et compliquée, sur la rue Duvernay, près du fleuve Saint-Laurent.

À trois ans, premier accident : une chute de quatre mètres dans les escaliers. Les plantes du sous-sol amortissent la chute et me sauvent la vie. Je ne me souviens que de ma mère, prise de panique, qui nettoie mon visage plein de terre noire.

Des années passent. Je ne garde aucun autre souvenir, de ma naissance jusqu’à l’âge de six ans; pas un seul, ni même de la maternelle.

Je ne sais qu’une seule chose : je suis tombé amoureux de mon frère aîné, quelque part, au point de ne plus être capable de vivre sans lui.

À six ans, j’entre en première année. École primaire. Fraternise avec quelques élèves, mais ne me lie d’amitié avec aucun d’entre eux. N’ai pour ami que François Morency, un garçon en qui je vois mon frère, depuis que ce dernier ne trouve plus de temps pour moi.

Les regroupements d’amis commencent. François se lie d’amitié avec d’autres. Mon frère se joint à eux. Ils forment une bande d’amis. J’en fais partie, un peu malgré moi. Tous se rejoignent pour jouer au hockey sur la rue Viateur-Paradis. La plupart du temps, je ne joue pas. Ne suis pas assez sportif. Me recycle dans l’arbitrage et l’observation.

Premier trouble de perception : je ne parviens pas à distinguer ce qui est loin de ce qui est proche. Une lampe située à cinq mètres de moi me semble être aussi proche que le bout de mes doigts. Mon père m’aide à comprendre la perspective en tournant mes incompréhensions au ridicule. Je ris.

À la maison, ma mère propose de garder les enfants d’autres familles les jours de semaine. Des parents amènent leurs enfants. Je préfère jouer avec eux qu’avec les garçons plus âgés du village.

Mon père travaille beaucoup, rarement présent, mais demeure une figure très autoritaire. Si mon frère et moi faisons trop de bruit, il pique une colère et c’est toujours sur moi qu’il frappe. Mon frère n’ose jamais prendre ma défense.

Ma mère est douce et heureuse. Elle accueille un nouvel enfant, de mon âge exactement, dont les parents sont divorcés. Mon frère et moi devenons ses amis, mais cet enfant a de drôles de jeux. C’est la première fois que je touche à un pénis qui n’est pas le mien. Je n’apprécie pas.

À huit ans, mon premier amour voit le jour. Je sors avec elle. Ferme timidement les lèvres quand vient le temps de s’embrasser. Je la laisse pour une autre, puis une autre. Les étés sont longs. Ils durent des années.

Mon père apprend que ma mère l’a trompé. J’ai neuf ans. Réalise que mes parents boivent beaucoup trop. Plusieurs engueulades, mais ils ne divorcent pas. Sur le mur de ma chambre, je trace une ligne chaque fois qu’ils boivent trop à mon goût. Je cesse de compter au bout de deux mois. Quarante lignes.

Beaucoup de misère à m’endormir le soir. Déteste l’ivresse de mes parents. Ils font trop de bruit. Pour camoufler les engueulades, je ne dors jamais sans la musique de mon ventilateur.

Lecture des poèmes de Gilles Vigneault et de Félix Leclerc. J’ai onze ans. Je réalise que la poésie existe. Écris mes premiers poèmes sous la forme de joual, une écriture empreinte de québécismes et de folklore.

Désir profond de lire mon premier poème à mon frère. Il m’écoute et ne dit rien. Je goûte à la satisfaction qu’apporte l’écriture. Ne la quitte plus.

Entrée au secondaire, à douze ans, au Collège Saint-Paul de Varennes. Perte de mon seul et unique ami, François, qui se tourne vers de nouveaux étudiants de Varennes. La déchirure est grande. Ce garçon avait été le seul à m’avoir connu à un moment dont je ne me rappelle pas. Le seul repère qui pouvait m’assurer que j’avais bel et bien existé avant l’âge de six ans.

Je continue à jouer aux G.I. Joe sans lui. Me crée plusieurs histoires. Une en particulier, que je me répète sans cesse, chaque fois que je joue seul.

À Varennes, très bon étudiant, mes notes sont supérieures à la moyenne. Je n’ai aucun ami. Les étudiants se moquent de moi, de mes cheveux surtout, et certains m’en veulent plus que d’autres. Je découvre la bibliothèque. M’y cache. Apprends qu’un garçon m’attend à la fin des cours, un bâton de baseball à la main. L’atmosphère est de peur.

À ma troisième année au collège, écriture de Fleur, un poème obligé par le cours de français. Les impressions du professeur sont bonnes. Étonné par l’aisance avec laquelle j’invente les rimes et par la qualité du français, évidemment. Il exige de moi que je ne cesse pas d’écrire et que je lui montre, l’année suivante, de pareils poèmes.

L’année suivante, je ne revois plus ce professeur. Suis de moins en moins sérieux. Commence à m’affirmer. Pose plusieurs questions dont les réponses sont évidentes (« Pourquoi le ciel est bleu? À quoi servent les statues? C’est quoi un fruit? Pourquoi t’appelles-tu Benoît, et pourquoi y a-t-il un accent circonflexe sur le i de ton prénom? »). Les étudiants sont étonnés de ma « flagrante stupidité ».

Me lie profondément d’amitié avec Jonathan Flynn, un garçon de ma classe. Il est le seul à ne pas trouver mes questions stupides. Je passe tous les jours de la semaine avec lui et sa bande d’amis. Je souhaite le voir durant l’été, ce qui n’arrive pas. L’été nous sépare, puisque l’année d’après, je suis trop timide pour aller lui parler.

Rencontre Rosanne Pigeon durant l’été. En tombe amoureux. Apprends le langage des sourds muets pour pouvoir communiquer avec elle.

Dernière année au collège, mes résultats sont décevants. Mes parents n’en disent rien.

Première consommation de cannabis, à seize ans, au parc près du collège, durant l’heure du midi, en compagnie de deux garçons qui ne sont pas mes amis. Fume un joint. David ne finit pas le sien. Le fume à sa place.

De retour au collège pour le cours d’éducation physique, suis sous l’effet de la drogue et saute sur Jonathan. Nous nous étions provoqués, et la bagarre est agressive.

Dans l’autobus jusqu’à Verchères, j’ai l’impression de dormir éveillé. Crois que l’effet des deux joints s’en est allé avec la bagarre, ce qui n’est pas le cas.

Entends parler d’Einstein et lis au sujet de la théorie de la relativité.
Lis la biographie de S. Freud.

Perds le sens de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas. Ignore pourquoi. Ai la certitude que les autres êtres humains n’existent que sous la forme de « robots » ou d’« illusions ». Ne crois pas à la souffrance des autres. Ne vois ni l’intérêt de la justice, ni l’importance de ne pas assassiner les « illusions ».

Naissance du « problème » : pendant six mois, je vis chaque jour dans un rêve peuplé d’illusions. Les visages se déforment selon l’attention que je leur porte et les perspectives sont constamment trompées. Chaque jour débute par une impression de ne jamais avoir été mis au monde et se termine par un étourdissement horrible.

Demande à mes parents de consulter un psychologue, mais ils refusent.

L’été est long et beau par moments. Désire avoir une relation sexuelle avec Rosanne, mais ne parviens pas à avoir une érection. Elle doute de mon désir. Je la rassure. D’autres occasions de faire l’amour se présente, mais je n’ai toujours pas d’érection.

Ai toutes les misères à expliquer mon « problème » à Rosanne. Elle me trompe avec un autre garçon. Je lui pardonne.

Inscription au Cégep de Sorel-Tracy, en Technique de Bureautique et Hypermédias. Rêve d’être écrivain depuis l’enfance, mais pense devenir graphiste.

Travaille à l’atelier de soudure de mon père pendant l’été.

Au cégep, obtiens de bonnes notes, mais les cours ne correspondent pas à ce que j’avais en tête. Les liens se resserrent entre mon frère et moi. Notre relation devient amicale.

Rencontre Marie-Hélène Cardin. N’ai jamais vu de fille aussi belle : qu’elle accepte de sortir avec moi, c’est pareil que de recevoir une médaille d’or. J’ai dix-sept ans.

Maintiens de force une relation déchirée avec Rosanne. La quitte finalement pour Marie-Hélène. Fin de mon « problème ». Explosion créatrice. Je me mets à dessiner et à écrire plus rigoureusement.

Découvre l’œuvre de Joan Miró.

Inscription au programme des Arts et Lettres, au Cégep de Sorel-Tracy. Me lie d’amitié avec Rachel Cloutier, amie de Marie-Hélène.

Rencontres avec le professeur André Paul’Hus. Lui propose de former des ateliers de création littéraire à l’intérieur du cégep, en dehors des cours. Personne n’est intéressé, sauf une dame qui n’écrit que des poèmes sentimentaux et mauvais.

Avec cette dame, je rencontre Paul’Hus. Lui apporte un poème, Bouffée en chambre de Baudelaire, dans l’espoir de pouvoir perfectionner mon écriture, mais il juge que ce poème n’a besoin d’aucune correction. Fin des ateliers de création.

Lis Balzac.
Lis Les Paradis artificiels de Baudelaire.

Écriture de Ballade de l’adultère, poème qui paraîtra dans le Recueil intercollégial de poésie.

Écriture de plusieurs textes (Quoy) qui formeront plus tard le Conscientisme. Peins une série d’exercices (œuvres abstraites, de Cratère jusqu’à L’Espagnol).

Conversations MSN avec Rachel. Plusieurs réflexions sur l’empirisme et le rationnel : elle considère qu’elle est empirique et que je suis rationnel. Je suis d’accord. Lui parle de mon « problème d’illusions ». Elle comprend.

Suis attiré par Rachel. Souhaite qu’elle tombe en amour avec moi.

Fin de semaine à Mont-Tremblant avec Marie-Hélène, mon frère, sa blonde, mon oncle et mes parents : la nuit du 30 juillet 2004, mes parents boivent beaucoup et se disputent. Ma mère couche avec un autre homme. Le 31 juillet, mon père a le visage en sang. Il s’est battu et n’a pas dormi. Il veut battre ma mère, mais elle se sauve. J’ai dix-neuf ans.

Toute médaille a un revers : Marie-Hélène ne supporte pas de me voir écrire et peindre constamment. Ne suis pas assez présent pour elle. Ne veux plus sortir avec elle et préfère rester célibataire.

Découvre la philosophie de Daniel C. Denett et de John Searle.
Lis Les Robots d’Asimov.

Peins mes premières œuvres conscientistes : Ourson (autoportrait), Lawrence, Lapin, Van-Gogh-Machine, Jeune garçon cachant un A.K., et d’autres.

Autres rencontres individuelles avec Paul’Hus. Il dit que mon style est devenu « trop verbeux ».

Deux autres poèmes sont publiés dans le Recueil intercollégial de poésie : Sans-titre 1 et Écran.

Finaliste au Marathon d’écriture.

Rencontres avec Anik De Repentigny, professeure d’arts visuels. Elle me donne plusieurs commentaires positifs au sujet de mes tableaux et me traite d’artiste « mature ».

Dès le départ, je suis en désaccord avec le style « trash » de De Repentigny et les idées post-modernes qu’elle tente d’inculquer aux élèves. Je préfère les formes réalistes et les rapports indifférence-sensibilité de la ligne.

Découvre le groupe The Arcade Fire.

Rédaction du Manifeste du Conscientisme, contenant plusieurs textes dont François et Tortue de bois. Souhaite retravailler Tortue de bois avec Paul’Hus, mais le texte ne lui paraît pas intéressant.

Exposition au cégep : la directrice veut m’acheter Jeune garçon cachant un A.K. Je refuse. Vente de quatre autres tableaux : sept cents dollars. Fin de la session.

Obtiens mon diplôme en Arts et Lettres. Les professeurs me considèrent, mais les élèves du programme critiquent sévèrement mon travail, disant qu’il manque d’originalité. Ils vont même jusqu’à dire que ce n’est pas de l’art.

Commence l’écriture de Troisième monde, un roman portant sur l’influence des objets.

Travaille à la station Shell de Varennes. Rachel entame sa dernière session en Arts et Lettres au cégep de Sorel-Tracy. Nous projetons de voyager en Europe.

Peins d’autres tableaux, dont Le Souvenir et Les draps nostalgiques, de style moins figuratif.

Rachel doit peindre neuf tableaux pour son projet de fin de session. Dans ces tableaux, elle mêle son style au mien. Plusieurs sont vendus lors de l’exposition. Les élèves cherchent à connaître l’auteur de ces œuvres, mais nous n’en disons rien.

Voyage en Europe.

Écris Carnet de voyage.

Ne termine pas Troisième monde. L’année que j’ai passée à l’écrire a été un long exercice où j’ai appris à écrire. Pense à terminer ce premier roman sur mon lit de mort, pour la beauté de l'affaire.

Inscription au programme d’Études littéraires, à l’Université de Montréal au Québec.

De retour de voyage, peins Contraste d’enfance, Paradigme Mécaniste, La rose perdue et Nature abandonnée.

Exposition au Symposium de Sorel-Tracy : Paradigme mécaniste est vendue.

Appartement à Montréal, en compagnie de Rachel.

Reçois un courriel de De Repentigny qui se sent trahie. Elle croit que j’ai peint certains tableaux à la place de Rachel. Nous lui répondons que nous ne sommes qu’une seule et même personne.

Peins Champ de blé avec oiseaux vers l’infini. Ne veux plus vendre de tableaux.

Écris près de trente autres textes. Préconise certains thèmes dont le malheur d’être masculin, la vérité et le mensonge, le désir de fusionner avec l’autre et le rapport à la mère.


Publié dans Main Blanche (Kamikaze, La traversée du jus rouge, Insulte à mon enfance, Mes draps vides à toi) et Lapsus (Carnet de voyage)

Ne vois que Rachel. Mon but est d’atteindre le « point de fusion »* avec elle.

*Point de fusion : Ce point spirituel transgresse la mort. Il est une parfaite harmonie entre les vérités de deux personnes, si bien que ces vérités deviennent mensonge aux yeux des autres : ainsi, le point de fusion permet à deux individus de devenir une seule entité sous un même nom, prénom. Il en résulte une sorte d’« enfant accompli », achevé et assumé, obtenu par l’union des deux personnes.

Compte tenu que nous naissons tous prématurés, aucunement prêt ni à marcher ni à réfléchir, la naissance doit bel et bien se faire une fois que nous sommes sortis du ventre de notre mère. Nous devons « naître » ou « s’accoucher soi-même » avec cette personne qui nous est destinée. Retrouver la « fusion » que nous avons perdue depuis que notre mère a accouché de nous, prématurément. (William, Essai sur le point de fusion)


L’écriture est pour moi la première étape pour parvenir au « point de fusion » avec Rachel.

Tente d’abolir l’absurdité et l’ironie dans la littérature contemporaine.
Tente d’abolir la poésie d’images.
Tente d’acquérir une écriture plus sentimentale.
Tente de montrer les effets d’une identité déchirée chez les êtres humains.
Tente de trouver une nouvelle façon d’écrire qui serait plus proche de la peinture.

Influencé par La mort de l’auteur de Roland Barthes et Écrire dans la maison du Père de Patricia Smart, tente d’écrire dans l’optique d’une « mort du lecteur » ou de la lecture.
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