18 mars 2007

Carnet de domicile

je n’écrivais qu’en faisant de longues phrases, hésitant toujours à mettre le point final; je ponctuais mes carnets de virgules, à l’infini, pour que le rythme dépasse ma fin et que jamais la brutalité ne vienne m’achever.

j’étais jeune, encore fier d’être jeune, de m’indigner des autres et de m’aimer, souvent, je ne pensais qu’à moi.

qu’à écrire dans mon carnet de voyage ce que je trouvais de beau au travers de mes yeux de pauvre chat évadé, aux côtés de vraies parisiennes, de vraies étrangères, de vraies inconnues.

à craindre que l’entrelacement de mes mots ne s’achève trop tôt dans l’horizon. dans l’infini de l’horizon.

j’avais si peur.

Aussitôt descendu de l’avion, à Paris, je fis en sorte que mon sac à dos me liât tout le corps. Jusqu’au tourniquet du métro. Jusqu’à l’hôtel. Je n’eus au fond qu’une seule envie, ambitieuse et agressive : celle d’écrire jusqu’à ce que l’heure me suicide.

il m’avait fallu six heures d’avion pour m’évader du québec, et combien d’heures pour m’évader de mon évasion, et combien d’autres pour m’évader de l’évasion de mon évasion…

Dans les dedans de la chambre d’hôtel. J’ouvris la fenêtre.

aujourd’hui, les carnets de ce voyage ne survivent pas, du temps de ce que j’écrivais à paris, le papier de mes carnets jaunit au même rythme que mes dents, c’est-à-dire lentement, trop lentement pour en remarquer le jaunissement.

les fleurs que j’avais cueillies à paris vieillissent dans un sac ziploc, écrasé entre la télé et les bibelots, seules au salon, écrasées, les fleurs font semblant de ne pas vieillir, écrasées : « le voyage est passé, rien ne sert d’y repenser ».

Je me mis à écrire, qu’en de longues phrases sans fin. Ni respire, ni espace. Que l’étendue de ma fougueuse jeunesse. S’étirant de tout son long. Sur la rue Vitruve.

dehors, la pluie est fragile dans sa transparence. plus bleue que grise, cette pluie vient possiblement de l’autre côté de l’atlantique. il me semble que c’est possible, qu’elle ait voyagé avec quelques gouttes de sueur de toi à l’intérieur.

Il commença à pleuvoir sur Paris. Quelques gouttes glissèrent entre les virgules de mon carnet.

cette pluie me transporte encore dans les chemins de paris. moi devant, les quelques fleurs au passage. toi derrière, le front mouillé d’espoir que je me tourne vers toi. quelque chose n’est pas arrivé.

Rachel vint me demander de fermer la fenêtre. Je fis semblant de ne pas l’entendre. Le vent poussait les rideaux de l’hôtel.

souvent, lorsque l’humidité éclate, ta voix.

tu me rattrapes et me saisis jusqu’au cœur. une brèche dans le cœur : je me tourne, vers toi, et t’embrasse.

Je lui prêtai ma veste pour ne pas qu’elle prenne froid, hélas, je n’osai rien dire; des heures passèrent encore, d’autres heures encore…

et les arbres sont absents, meurent de froid et me poussent vers ton absence.

le présent te présente, avec les gouttes de pluie sur toi, quelques éclats de soleil sur l’eau de ta joue.

la lumière se couche et la nostalgie, comme elle me paraît toujours aussi belle, d’aussi loin; j’y entre sans savoir qu’à l’intérieur elle est aussi laide qu’un suicide, aussi fatale que si je me transportais jusqu’aux dedans de toi.

je n’ai jamais osé ce que nous étions : des overdoses de déchirures.

Le passé n’était qu’à quelques heures d’avion. Cette nuit-là, ceux que j’avais connus par le passé me réapparurent en rêve.

l’immédiateté de ma nostalgie, saisissante et désastreuse.

je m’y vois encore, là-bas, dans ce café qui n’existe plus, avec toi.

paris n’existe plus, sauf en ce quelque part, du coin de ma mémoire, un souvenir inexact, déformé par le traumatisme de mes silences oui, je suppose qu’après ce voyage, le rythme s’est cassé en deux paf, et que tout ce qui suit est inutile, ou pire encore, absurde.

Il me sembla que je m’étais égaré ailleurs, à la recherche de quelque chose qui ne vint jamais.

dehors, la pluie. si j’ouvrais la fenêtre et tirais la langue, peut-être le goût de ta sueur me reviendrait, pour une dernière fois, que la brèche s’ouvre et se referme.

Il me sembla que je m’étais éloigné de moi-même, à des siècles de ce dont j’étais tombé amoureux.

lorsque la lumière se couche dans l’infini de l’horizon, ta voix. les humeurs de draperies vides, de l’hôtel, m’appellent : me demandent encore de fermer cette fenêtre.

et je réponds que je te supplie de prendre cette veste… prends ma veste… cette fois, ne me la rends pas… garde-la… pour l’éternité.

Tandis que Rachel dormait encore à Paris, moi, je revenais à Montréal. La province se dessinait. Au loin, je mourais. Je pleurais de « Rachel reviens-moi, que j’écrive à tes côtés, que rien sans toi ne viendra ».

dehors, l’éternité souffrante. les dedans que je n’ose pas.

Je continuais. Que les majuscules s’effacent. Que le rythme dépasse le voyage.

ce voyage qui ne survit pas mais que je ne peux m’empêcher de pleurer au fond, je dois y retourner. dans les dedans souffrants. ouvrir une brèche. pour que tu respires.

À Montréal, je tombai amoureux de quelque chose, de quelque part d’au-delà de la mémoire, d’au-delà des souvenirs, d’au-delà de l’infini de l’horizon.

les carnets de voyage ne survivent jamais. aussi les voyages finissent toujours écrasés dans les sacs ziploc. dans les dedans souffrants.

dehors, le tonnerre. un coup d’éclair. j’ouvre la fenêtre. un vent terrible me coupe le souffle : l’appartement s’envolera et moi, je n’aurai plus peur.

tu respires. toujours un peu plus fort.

j’ai peur de renverser, rachel, peur que cette chaise ne tienne pas : tu respires, toujours un peu plus fort.

je sens que je pourrais crier quelque chose, un peu plus fort, que tu m’entendrais pour la première fois depuis que je ne suis plus jeune.

tu respires toujours un peu plus fort aux dedans de moi, rachel. c’est possible que tu m’entendes pour la première fois.

je t’attraperai dans ta fragile transparence.

je sens que je pourrais crier, toujours plus fort, que mes carnets ne survivent jamais, que l’amour ne survit jamais à ce qui ne survit pas, mais que les éternités sont éternelles :
C’EST DE TOI QUE JE SUIS TOMBÉ AMOUREUX.

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