25 juillet 2016

L'homme qui me bat

Ce soir, une gifle. Une seule. Ma tête tremble encore. Sa main n’était pas totalement ouverte. Ça avait plutôt la forme d’un poing. Gifle ou coup de poing, la question n’est pas là. C’est le métal de son bracelet qui m’a fendue. En dessous de l’oeil. Le bracelet qui m’a frappé dans le cerne que j’avais déjà violet.
J’avais passé l’après-midi avec mon petit Lucas. Je lui apprenais à pédaler dans la ruelle. Il se débrouillait. J’étais heureuse. Presque. Un oiseau chantait quelque chose. J’ai tourné la tête vers un arbre, un instant de trop. Derrière moi, Lucas criait : « Bobo! Maman bobo! » - Mon chéri! Relève-toi! Montre-moi ton genou. On ne va pas gaspiller un pansement pour ça. Ça va sécher. Le sang va sécher. Viens. Range ton vélo. On rentre à la maison. J’ai fait des macaronis. Des macaronis au fromage.
Et là, le père. Il arrivait. Derrière moi, avec son air plus grand que tout : « Mauvaise journée au bureau. » C’est ce qu’il a dit. En fait, c’était le signal. Il m’annonçait que ma soirée serait pire que sa journée. J’ai fait comme d’habitude : les macaronis, la bière au frigo, un peu de musique pour se dérider. Lucas faisait semblant d’écrire dans ses cahiers d’école. Il dessinait des monstres. On riait. On buvait, enivrés jusqu’à se piler sur les pieds. C’est quoi cette chanson? Un souvenir de 1995. Lucas monte se coucher. C’est le moment de sortir le sachet. Cocaïne. On se prête la paille. Ça dégénère. Il dit que je l’ai trompé en 1997. Je m’éloigne, il me retient. Je manque d’air. Il me tient à la gorge. Ma veste n’a pas de col. J’ai la peau du cou qui s’étire. La dernière ligne, on se la dispute. Elle revient à celui qui souffre le plus. C’est lui. Je ne peux rien dire de plus.
C’est lui qui travaille. Lui, le vingt dollars sur la table. Lui le pusher, lui le sachet. Plus qu’un poing, mieux qu’une cicatrice, c’est lui, mon envie de mordre. Mais je ne peux pas ouvrir la bouche. Sa main me retient. C’est lui, le dernier bonheur qui me reste.
Ce soir, une gifle. Rien qu’une. Je saigne. Rien de grave. Les mouchoirs en viennent à bout. Il me tuerait si je vidais la boîte de pansements. Il n’en reste qu’un. Lucas. Je le garde précieusement, au cas où quelque chose de grave arrivait demain. L’instinct de survie, c’est ça. Saigner sans guérir. Attendre que ça sèche. Souffrir sans mourir. Et se convaincre que nos blessures ne sont que des bobos d’enfant.

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