Ce soir, une gifle. Une seule. Ma tête
tremble encore. Sa main n’était pas totalement ouverte. Ça avait plutôt
la forme d’un poing. Gifle ou coup de poing, la question n’est pas là.
C’est le métal de son bracelet qui m’a fendue. En dessous de l’oeil. Le
bracelet qui m’a frappé dans le cerne que j’avais déjà violet.
J’avais
passé l’après-midi avec mon petit Lucas. Je lui apprenais à pédaler
dans la ruelle. Il se débrouillait. J’étais heureuse. Presque. Un oiseau
chantait quelque chose. J’ai tourné la tête vers un arbre, un instant
de trop. Derrière moi, Lucas criait : « Bobo! Maman bobo! » - Mon chéri!
Relève-toi! Montre-moi ton genou. On ne va pas gaspiller un pansement
pour ça. Ça va sécher. Le sang va sécher. Viens. Range ton vélo. On
rentre à la maison. J’ai fait des macaronis. Des macaronis au fromage.
Et
là, le père. Il arrivait. Derrière moi, avec son air plus grand que
tout : « Mauvaise journée au bureau. » C’est ce qu’il a dit. En fait,
c’était le signal. Il m’annonçait que ma soirée serait pire que sa
journée. J’ai fait comme d’habitude : les macaronis, la bière au frigo,
un peu de musique pour se dérider. Lucas faisait semblant d’écrire dans
ses cahiers d’école. Il dessinait des monstres. On riait. On buvait,
enivrés jusqu’à se piler sur les pieds. C’est quoi cette chanson? Un
souvenir de 1995. Lucas monte se coucher. C’est le moment de sortir le
sachet. Cocaïne. On se prête la paille. Ça dégénère. Il dit que je l’ai
trompé en 1997. Je m’éloigne, il me retient. Je manque d’air. Il me
tient à la gorge. Ma veste n’a pas de col. J’ai la peau du cou qui
s’étire. La dernière ligne, on se la dispute. Elle revient à celui qui
souffre le plus. C’est lui. Je ne peux rien dire de plus.
C’est
lui qui travaille. Lui, le vingt dollars sur la table. Lui le pusher,
lui le sachet. Plus qu’un poing, mieux qu’une cicatrice, c’est lui, mon
envie de mordre. Mais je ne peux pas ouvrir la bouche. Sa main me
retient. C’est lui, le dernier bonheur qui me reste.
Ce
soir, une gifle. Rien qu’une. Je saigne. Rien de grave. Les mouchoirs
en viennent à bout. Il me tuerait si je vidais la boîte de pansements.
Il n’en reste qu’un. Lucas. Je le garde précieusement, au cas où quelque
chose de grave arrivait demain. L’instinct de survie, c’est ça. Saigner
sans guérir. Attendre que ça sèche. Souffrir sans mourir. Et se
convaincre que nos blessures ne sont que des bobos d’enfant.
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