Samos, honoré par son statut de
scientifique officiel, ne croyait pas aux légendes. Il avait aménagé son
salon comme un laboratoire. De là, nous pouvions voir, entre son divan
et la cuisine, tous les instruments nécessaires à l’observation
moléculaire posés sur une grande table en bois de chêne. La science lui
faisait un vrai métier et personne ne lui reprochait ses comportements
solitaires lorsqu’il passait ses soirées au microscope. Quand sa mère
mourut, Samos tomba en profonde dépression. Deux jours après, il reçut
en cadeau, déposée au pas de sa porte, une rose blanche dont la tige
avait été soigneusement enroulée dans un papier humide. Il se demanda
de qui venait cette attention, et qui avait bien pu manifester un
soudain sentiment après la disparition de sa mère; malgré l’absence de
destinateur, la rose demeura pour lui le signe d’une réelle empathie
pour le deuil qu’il s’efforçait de vivre, tantôt en pleurant mais n’en
parlant pas, tantôt en parlant mais ne pleurant rien.
Tout comme l’aurait fait le propriétaire d’un nouvel animal de
compagnie, il présenta son appartement à la rose fraîchement découverte :
« Voici le salon, la cuisine. Il ne faut pas toucher au robinet. Il
coule. Je déteste l’eau qui s’échappe. J’ai très peur des inondations.
Je dois trouver un vase
étanche . » Il n’hésita
pas à retourner son appartement pour trouver un vase de choix;
son choix s’arrêta sur cette sorte de cylindre gradué dont il
s’était servi, il s’en souvenait, pour mesurer la quantité de sang
qu’il avait perdu lors de sa dernière tentative de suicide survenue cinq
ans plus tôt - triste souvenir qu’il semblait avoir laissé derrière.
C’était un homme du présent : il versa l’eau à la moitié du cylindre, y
plongea délicatement la tige de la rose blanche et la vit s’enguirlander
de petite bulles. Samos se posta définitivement devant elle, sans plus
bouger, même qu’il y resta longtemps, comme si plus rien ne
l’intéressait ailleurs. La façon dont les bulles s’accrochaient à la
tige de cette fleur plus que vivante, tout cela le magnifia, le
convainquit d’abandonner la science au profit d’une nature nouvelle,
pure. On frappa plus d’une fois à sa porte sans qu’il y eût de réponse.
Le scientifique s’affairait à sa fleur. Une nuit, pris d’une panique
fiévreuse, il hallucina des voix qui l’incitaient à sortir. Comme s’il
en fut assez, une voix, à travers la porte, l’invita à sortir :
- Samos! Laisse ta fleur! Des roses blanches, il existe des champs qui en sont remplis!
Face aux voix, le réflexe de Samos fut d’isoler son appartement
en tassant des serviettes sous les portes.
Il
boucha les fentes et retourna à ses observations. Il consacra des
heures, des jours, à observer les pétales qui peu à peu se fanaient. Sa
fleur mourait, mais jamais il n’accepta qu’ailleurs, dans les
champs tel que l’avait proposé la voix, la même rose blanche eût
existée. Lentement, sa fleur revêtit les habits de la mort. Le gris
frisa les pétales. Samos attendit que de sa fleur la tige devînt molle
et, encore qu’il fut là pour elle, quand la fleur ne tint qu’en une
boulette grise au bout de ce qui sembla une ficelle, il réalisa sa
solitude. Quand vint le temps de la jeter et que la tige craqua sous ses
doigts, il eut le sentiment de mourir aussi. En refermant la palette de
la poubelle, à cette voix qui tentait de se répéter encore en lui,
il répondit : « Ce que je ne vois pas n’existe pas... »
Et personne ne sait s’il parlait de la fleur, de la voix, ou de sa mère.
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