25 juillet 2016

L'éditeur n'est pas un lecteur

Imaginaire. Le mot vient du latin imago. Image. Peut-on écrire sans image? C’est assez rare. Même Richard Martineau y arrive. Écrire, c’est réinventer les images. Tout sujet qui écrit devient lui-même une image parlante. Et plus il tente de représenter une chose par écrit, plus cette chose devient elle aussi image, imaginaire. Quand on écrit, il n’est donc ni question de vérité, ni de vraisemblance, ni de crédibilité. Deux phrases :
1- « J’étais dans ma voiture. J’ai vu deux chiens qui se battaient. »
2- « J’étais dans ma voiture. Deux chiens se battaient. »
Certains lecteurs diront qu’ils préfèrent la première parce qu’elle est claire. Ils voient les deux chiens se battre dehors, près de la voiture. Très bien. D’autres diront qu’ils préfèrent la deuxième, celle qui ne dit pas où sont situés les chiens. Ils les imaginent dans la voiture en train de se battre, ou dans le coffre arrière, ou dans un parc, dehors. Ils choisissent la deuxième phrase parce qu’ils aiment la liberté avec laquelle ils peuvent décider de l’endroit où les chiens se battent. La première phrase fait référence à la vue - j’ai vu les deux chiens donc c’est vrai - tandis que la deuxième fait appel à l’imaginaire : deux chiens se battaient et j’y crois qu’ils aient été vus ou pas.
L’éditeur, prenons-le comme un troisième lecteur, devient alors une problématique. Son questionnement étonne. Incapable de choisir entre ces deux lectures, il refuse l’une et l’autre des phrases. Il les acceptera sous une condition : qu’à la fin du texte il devienne clair l’endroit où le narrateur a vu les chiens se battre. Pour l’éditeur, ce n'est pas crédible qu’un narrateur nous parle d’une bataille alors qu’il n’en était pas même proche. Le narrateur ne peut en aucun cas imaginer quelque chose qu’il n’a pas vue. S’il affirme que deux chiens se battaient, c’est qu’il doit les avoir vus.
Pourquoi un narrateur ne pourrait-il pas dire ce qu’il voit même s’il n’en a rien vu? Le lecteur est prêt à l’impossible. L’écrivain aussi. On l'aura compris : c’est l’éditeur qui bloque. L’éditeur n’est pas un lecteur, mais celui qui annule les lectures pour produire un texte qui ne plaira ni tout à fait au premier lecteur, ni tout à fait au deuxième. Et pendant ce temps, les auteurs lisent.

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