2 mars 2012

La couleur mauve

Je viens de dire que les objets étaient dissociés de la couleur qu'ils portent, et vous me dites que je devrais manger une orange dans le dessein de me réconcilier avec la couleur du coucher du soleil? Vous êtes malades. Le jour où je mangerai une orange, ce jour n'est pas encore né. Je tolère encore la morue crue que papa me sert, les coeurs de poulet, mon propre vomi; mais je tiens à ma conviction de mourir l'estomac vide des couleurs du soleil.

Encore si vous me proposiez une prune, là, je la mangerais comme le mauve du ciel quand la lune pérennise sa lumière au matin. Mais l'orange, avisez-vous de ne jamais me l'offrir. Cette couleur, ce fruit, n'est bonne qu'aux morts de se remémorer les fois où en dormant leur corps ressemblait drôlement au leur qui, présentement sous terre, ne voyage jamais plus loin que le bout de leurs ongles salis de noir, du noir auquel ils aspirent.

Je n'aspire ni au blanc ni au noir. Je n'aspirerai aucune couleur de mon vivant, sinon que le mauve de vos prunes. Des prunes au front. Des prunes aux genoux. Offrez-m'en. Frappez-moi au sang, qu'il se mobilise en une boule bleutée à la surface de ma chair, une prune d'or. D'or à mes yeux. Mes yeux au beurre mauve. La vérité réside dans le mauve, dans l'incapacité de pencher du côté noir ou du côté blanc; mon mauve est un gris dont l'absence d'émotion a été remplacée par la souffrance pure du sang jugulé. Je veux du mauve plein ma vie. Je veux mourir dans ce mauve, du jus de prune plein la gueule, en vous criant, prune après prune, de m'en offrir une autre.

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