2 mars 2012

La blatte

Il y a un insecte sur le plancher. Je pense que c’est une blatte. Elle grignote le morceau de pain sec que j’ai échappé tout à l’heure. La blatte, ce n’est pas la blatte. La blatte, c’est moi. Sur la céramique blanche, elle est clairement visible. Mais la céramique, ce n’est pas la céramique. Le carré de céramique, c’est moi. Je suis le blanc et vous, vous êtes les coins. J’ai la faculté de vivre mon blanc jusqu’au brun de vos coins que je repousse plus loin que le frigo. Le frigo, ce n’est pas la fin du monde. Le frigo, c’est moi. Je suis froid. Je ne vous parle pas. Je ne veux pas vous parler. Je ronronne.

Je ronronne comme le chat de la voisine. La voisine, ce n’est pas la voisine. La voisine, c’est moi. C’est moi qui ai les yeux inquiets quand je plonge la tête dans mes rideaux pour me regarder crier. Ma voix traverse la hotte de la cuisinière et ressort dans toutes les hottes de tous les étages. Tout le monde pense que je suis fou mais tout le monde n’est pas tout le monde. Tout le monde est moi. C’est moi, tout le monde. C’est moi le boucher qui coupe ma viande. C’est moi l’éboueur qui jette les déchets dans un grand camion. C’est moi le camion plein de moi qui se déverse dans de plus grands tas de merde. C’est moi le policier qui m’arrête. C’est moi le juge qui me juge. C’est moi le témoin.

C’est moi la boulangère qui témoigne. C’est moi qui ai fait mon pain. C’est moi qui l’ai fait sécher. C’est moi qui le grignote sur ma céramique. Oui. C’est moi l’insecte. C’est moi la blatte.

C’est tout moi. Un jour, je vous céderai une place. Mais d’ici là, l’univers est moi. Le monde est moi. Tout ce qui n’est pas moi, je le fais sécher. Et tout ce qui est sec, ma blatte le bouffe.

Aucun commentaire: