3 septembre 2012

Petit-Marteau

Les berges s'effritent dans la mer vitreuse et cassent à la moindre vague comme des pots en terre cuite. On trouve des bouts de continents partout sur les plages. Personne ne sait à qui du Japon ou du Canada les retourner. On en fait des couteaux en silice pour éplucher la peau des oignons. Il en pousse tellement, dans les champs à l'est, qu'on pleure rien qu'à s'y promener. Les jades, c'est comme ça qu'on les appelle, les cueillent avec du tissus sur les yeux. Au déjeuner, leur mari les font roussir sur le feu avec de la graisse d'oie et le melon que les enfants ont trouvé.

Il y a du vin pour tout le monde. C'est Madame Jade qui s'occupe de cueillir le raisin dans les vignes. Elle en fait un jus qu'elle embouteille dans des cruches. On ne fait pas attention à l'odeur de ses orteils ni au degré d'alcool. Il y a des années que la cuvée est faible. Ces années-là, on cueille plus d'oignons. Les années que la cuvée est forte, on chante. On regarde Petit-Marteau tourner sur lui-même et chanter sa chanson :
Fé pa si fé pa sa!
Fé si pa ou nan fépa!

Il n'a que cinq ans mais boit plus que son père. Il faut attendre qu'il se brûle sur le feu pour aller le coucher. Quand il hurle parce que ses brûlures l'empêchent de dormir, sa mère le rejoint dans son lit et verse de l'eau tiède sur les cloques de son dos. Elle dit que l'eau tiède lui fait du bien mais tout le monde pense qu'elle le force à boire du vin jusqu'à ce qu'il s'endorme. Elle le soûle et, le lendemain, le mari le sort du coma à petits coups de marteau sur les tempes.

Petit-Marteau se lève juste à temps. La soirée commence. On le fait boire. C'est sa fête. Il a six ans. Les jades ont cueilli assez d'oignons pour la nuit. Madame Jade présage une cuvée forte. Elle chante déjà autour du feu. Petit-Marteau finit les verres de tout le monde. Demain, il aura grandi. On rit. On transforme son nom. Demain matin, son réveil se fera à grands coups de marteaux.

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