3 septembre 2012

Le renversement du régime taupien

On distingue deux sortes de taupes : celles qui creusent des tunnels et celles qui creusent des trous qui serviront à enterrer les mortes. Car oui, les taupes enterrent leurs cadavres comme nous, dans des trous d'à peine trois mètres de profondeur. Il arrive qu'une taupe, en creusant un tunnel, tombe sur un cadavre. Ce dernier s'effrite entre ses griffes et, stoppant sa creusée, la taupe chuchote à celles qui la suivent :
- Psst! Cadavre! On creuse plus bas...

Les débris de chair sont balayés vers le bas. On piétine le squelette ou on le contourne, puis le travail reprend. Les taupes qui creusent les cercueils savent pourtant qu'il ne faut jamais croiser le chemin des tunnels. C'est la loi. Mais certaines se risquent à défier les lois de la Grande Patte. Si ces histoires de tunnels aboutissant sur des cadavres tombaient aux oreilles de la Grande Patte, le nombres de cercueils doubleraient. Sa majesté n'a pas de pitié pour les rebelles. Ses griffes font plus de quatre centimètres. Un chiffre intimidant pour celles qui n'ont pas plus qu'un centimètre au bout des doigts.

Un jour, une taupe en avait enfoui une autre dans la trajectoire d'un tunnel. Elle fut tuée à coups de griffes par la Grande Patte. Dix-neuf coups de griffes. C'est qu'elle était lente à mourir. Je comprends les meurtriers qui s'acharnent sur leur victime. Dix-neuf coups de couteau, c'est très peu quand on a affaire à quelqu'un de coriace. Ce ne sont pas tous les humains qui meurent d'un coup. Certains restent en vie, même morts, et continuent de respirer, même de crier. Pour s'assurer qu'ils soient morts, il faut planter le couteau plusieurs fois et, contrairement à ce qu'on pense, le sang n'éclabousse pas. La lame transperce la chair et, comme dans du sable, ressort presque sèche. On n'a jamais l'impression d'avoir véritablement tué que lorsque les ongles de la victime se détachent de notre nuque. Et ça peut durer dix-neuf, voire quarante coups de couteau.

Le lendemain du meurtre, Grande Patte créa une nouvelle classe de taupes : les taupes-taupes. À la tête de cette classe, elle nomma Petite Patte. Même si l'ensemble des taupes s'étaient juré de ne jamais se dénoncer entre elles, le métier de Petite Patte consistait à dénoncer tous les comportements qui enfreignaient les lois : « Cachevy enterre un cadavre à moins de trois mètres! », rapportait-elle, « Bourtère dévie son tunnel parce qu'il a touché un cadavre! Perceroc suit et fait semblant de ne rien voir! »

Les trois furent tué par Grande Patte. Au final, la moitié des taupes passèrent sous la griffe de Sa Majesté. Car les plus lentes se faisaient tuer elles aussi, les taupes durent redoubler d'effort pour creuser au même rythme qu'avant. Il fallut qu'une taupe nommée Mauve se lève, un jour, et décide de creuser un cercueil, à la croisée des chemins 10 et 45, dont la sortie donnait sur le jardin d'un jardinier fou.
- Tourbise a creusé un cercueil qui obstruera la voie 45! cria-t-elle.
- Tourbise? Son nom ne me dit rien. Les chemins se sont-ils effondrés?
- Non mais elle court toujours! Elle s'est échappée! Il faut la ramener pour la punir!

Évidemment que rien ne s'était effondré. Mauve avait bien creusé. Elle avait tout prévu. Petite Patte sortit de terre et courut à la recherche de Tourbise. Sa course fut interrompue par le marteau du jardinier fou. Ce dernier lui brisa le crâne. Des morceaux de museau chutèrent dans le cercueil jusqu'aux tunnels. On les piétina en scandant la révolte.
- Tourbise court toujours! s'écria Mauve. Sa Majesté doit prendre les choses en main!

Grande Patte accourut. Elle sortit et se fit prendre au jeu. Elle eut beau se débattre, ses griffes ne firent pas le poids contre le marteau de notre jardinier. Il lui cassa d'abord les côtes, après quoi il lui saisit la queue pour l'agrafée à la branche d'un arbre. Avec une fourche, il lui déchira le ventre pour y voir couler le sang comme les bonbons d'une pinata. Ça tombait bien. C'était la fête de son fils.
- Frappe un coup de plus! demanda-t-il a son fils.
- C'est quoi? Un rat?
- Je ne sais pas. On s'en fout. Frappe. On verra.

L'enfant frappa et dit :
- Ah. Ce n'est pas un animal. C'est une boule de sang. Ça coule beaucoup...
- Continue de frapper. Ça arrêtera de couler.

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