6 novembre 2008

La dualité des mots

Parfois, un mot en contient un autre. Je veux dire par là que certains mots sont capables d’en englober d’autres. Comment dirais-je... Certains mots sont meilleurs que d’autres. Certains mots mangent d’autres mots. 

Si je vous disais... Forêt, ou tronc d’arbre? Lequel des deux mots mange l’autre? Eh bien, je suppose qu’il y a plusieurs troncs d’arbre pour une seule et même forêt et que la forêt est plus grande que la locution tronc-d’arbre et qu’alors la forêt englobe le tronc d’arbre et que pour cela, tel mot en englobe un autre et cela, en fait, cela n’est pas un bon exemple car ce n’est pas du tout ce dont je veux vous parler à vrai dire, dans ma tête en ce moment, les forêts je les ai bien loin quelque part. Dans mon cul. Mais là encore ce n’est pas ce dont je veux vous parler... 

En fait,

Je réfléchissais. Je réfléchissais à cette dualité des mots. Je réfléchissais au fait que certains mots puissent en englober d’autres ; en manger d’autres ; et je trouvais bien les mots voraces et je trouvais les mots sans pitié décidément, les mots peuvent-ils se faire la guerre? Y a--t-il une société de mots ; une sorte de guerre entre mots-pauvres, mots-riches, mots-scientifiques, mots-religieux et surtout, certains d’entre eux peuvent-ils légalement gagner le combat? Le mot piscine l’emporte-t-il nécessairement sur le mot eau, simplement parce que la piscine contient l’eau? Il m’a semblé que mon questionnement était essentiel et pour cela, vous pouvez rire de moi mais, ce n’est pas de votre manière affreuse de rire que je veux parler.

En réalité,

Je réfléchissais à cette dualité des mots. Et elle m’a quitté. Elle. Vous vous demandez qui. Ma fiancée. Elle est sortie par la porte. Et c’est d’elle que je veux vous parler. Pas de la porte... D’elle : ma fiancée. C’est d’elle que je veux parler. Si vous ne savez pas faire la différence entre une porte et ma fiancée, c’est que vous ne l’avez jamais vue. Ma fiancée ne se ferme pas, elle est toujours open et de toute façon, elle n’a ni poignée ni penture et je n’ai jamais dit que c’était un défaut que de ne pas avoir de penture...

Alors,

Elle m’a quitté. Et je sais que vous trouvez cela compréhensible, mais vous êtes incompréhensibles et elle m’a quitté et j’ai pensé au mot appartement, qui lui contenait le mot porte mais putain, j’ai beau avoir la maison, si elle est sortie par la porte qu’est-ce que j’en ai à foutre du mot maison, qu’il contienne la porte je m’en tabarnà ce moment-là, j’ai cessé de réfléchir. J’ai cessé de réfléchir à la dualité des mots.

Et j’ai pensé. Et comme dans les films j’ai pensé à un film que j’adore vous savez, savez-vous - vous savez c’est quoi le film que j’adore? Vous ignorez le film que j’adore! Vous êtes de grands ostil est vrai que vous êtes ignorants, mais je ne veux pas parler de votre ignorance en général, mais il y a un film que j’adore. À un moment dans ce film-là, l’acteur se met à pleurer parce qu’il écoute un CD de musique qui lui fait penser à celle qu’il aime et il écoute la musique et il pleure parce qu’elle l’a quitté et je crois que je devais écouter de la musique mais aussi, je pensais et j’ai pensé.

Je me souviens d’elle... Elle venait de me quitter mais déjà je pensais ses cheveux faisaient de jolis ronds bouclés mais je suis con et quoi, pourquoi t’es con? me suis-je demandé. Je me suis demandé, je me suis parlé et ça a été le début de la merde.

D’ailleurs, n’est-ce pas toujours le début de la merde quand on commence à se parler? Je veux dire, tout va bien avant ce moment-là, avant cet âge-là critique où l’on commence à se parler à soi-même. À cinq ans, se parle-t-on à soi-même? Je ne crois pas. Et je crois que c’est à force d’entendre les autres parler qu’on commence à entendre leur voix même lorsqu’ils ne sont pas là, et je crois que c’est à force d’entendre notre propre voix dans notre tête, à force de réflexion, qu’on se décide un bon jour à expulser notre voix intérieure à l’ensemble du réel et c’est tout un putain de gâchis que de l’entendre résonner à la grandeur d’un appartement. 

Quand on y pense, écrire, c’est écrire ce qu’on s’est toujours dit à haute voix sous la douche ou ailleurs. Et à vous qui me répondez que vous ne vous parlez jamais à vous-mêmes, je vous réponds qu’il vous arrive de fredonner des chansons sous la douche et même d’en crier les paroles et c’est la même ostil est vrai que c’est la même affaire, sauf que d’accord l’imagination vous manque, et même si je ne veux pas parler de votre manque d’imagination, vous êtes des tabarnà bien y penser, vous n’êtes pas différents de celui ou celle qui marche vers cet endroit détesté et qui se dit à haute voix dans la rue

Je suis con
Je suis conne 

Je pensais encore ses cheveux faisaient de jolis ronds bouclés je me suis demandé pourquoi j’étais con mais j’avais aussi dit que ses cheveux faisaient de jolis ronds bouclés mais j’ai dit ; j’ai dit je suis con parce qu’un rond, c’est déjà une boucle ; dire qu’elle avait de jolis ronds bouclés c’est con ; un rond, c’est plus, c’est mieux qu’une boucle...

Je pensais encore... Je me suis demandé pourquoi t’es con mais elle avait sur ses avant-bras des manches avec de jolies rayures lignées mais je suis con ; j’ai dit je suis con parce qu’une rayure, c’est déjà une ligne ; une rayure c’est plus, c’est mieux qu’une ligne...

Et je pensais encore... Je me suis demandé pourquoi t’es con mais je buvais un verre de vin et en faisant le con, j’ai brisé la coupe et le verre m’a coupé mais je suis con ; j’ai dit je suis con parce qu’un verre, c’est déjà une coupe ; un verre c’est plus, c’est mieux qu’une coupe...

Et j’étais en train d’arrêter de penser... Je me suis demandé pourquoi t’es con mais je l’aimais peut-être seulement comme une amie mais je suis con ; j’ai dit je suis con parce qu’une amoureuse, c’est déjà une amie ; une amoureuse c’est plus, c’est mieux qu’une amie...

Là, j’ai arrêté de penser et du coup tout le monde a été heureux.

Il n’est restée qu’une petite voix, une petite voix de vous qui me disiez « c’est déjà bon de ne plus t’entendre te moquer de nous autres ; c’est déjà bon de savoir que tu ne penses plus, mais peux-tu cesser d’écrire, et aussi tant qu’à y être, peux-tu cesser d’exister? »

...et j’ai rajouté timidement mais j’adore ce film-là où le gars pleure jour et nuit en écoutant de la musique et le gars doit séduire celle qu’il aime, jour après jour il doit la séduire parce qu’elle perd la mémoire et jamais le gars ne prend la fille pour acquis et toujours, chaque jour, il tente de la séduire parce qu’elle a envie d’être séduite...

« on t’entend encore et c’est désagréable... ferme-la donc pour toujours... »

..mais... et jamais, jamais elle n’est véritablement séduite mais il la séduit, encore, elle n’est jamais séduite mais il la séduit et c’est pour la vie et c’est ça qui est beau, c’est que c’est pour la vie...

« on est tannés que tu nous parles de toi... »

...mais je ne parle pas de moi je parle d’un film et de la vie...

« mais maintenant on aimerait ça jaser en paix ; on aimerait ça que t’arrêtes d’exister... »

À jamais?