4 février 2008

La sourde

L’hiver de ton odeur sur l’époque glaciaire que nous vivions ensemble le secret de ce que nous disions avec les mains qui faisaient du langage l’amour sous la neige du bout de ton nez muet, coulant dans le silence de nos froids c’était l’hiver du village, et les rues jouaient à se mettre au passé de ce que nous connaissions de l’hiver, les soirs glacés par le jeu de notre enfance, la sœur que tu avais plus jolie que tu ne l’étais, muette à me parler dans le parfum de la neige, roses jaunes qui me donnaient un dernier souffle à te comprendre le langage débile que nous inventions sans la langue, muets par la volonté des cloches d’une église que nous n’entendions pas si Dieu ressentait chaque petit blé qui ne parvenait pas à pousser, la tête me faisait penser Verchères les flocons dans le crâne avec quelques manques d’intelligence nous ne discutions pas de la surdité, nous la faisions et si quelques champs pouvaient être vécus par les élans du langage, parfois, nous prenions le paysage entre nos doigts et tu faisais des arbres des mots que tu nouais facilement mieux que moi, la surdité te connaissait et l’affaire des mains avait été pour toi une manière de naissance, petite sourde que je t’apprivoisais les cordes de ta voix rauque pour un dernier je t’aime sur les branchages de tes ongles devenus femmes, tes ongles écorchais les ficelles du paysage je dois le dire, que ta façon d’expliquer les images creusait des fossés entre nous et le réel, ce réel qui n’était vrai que par les mouvements décousus de nos bras au-dessus de la blancheur que nous avions nos paumes sur les avant-bras que j’avais si cela signifiait quelque chose, un mot à te parler de l’hiver de ton odeur sur l’époque glaciaire que tu n’y comprenais rien, ni des mots ni des voix que je dessinais sur les flocons des airs tu n’entendais rien, des parfums qui m’étaient venus à dos de musique tu n’entendais rien mais que tu riais, par la laine de tes chandails tu riais de cauchemars frais, coupable d’être née sous cet hiver parfumé de tremblements qui te hantaient le poil des bras en de grinçants frissons tu t’excitais, pour le mensonge d’avec quelqu’un d’autre tu me trompais, tu t’excitais le manque de sincérité avec cet autre qui n’entendait rien de tes hanches qui ne voulaient rien dire et je criais que les hanches ne veulent rien dire! Que ce ne sont pas les hanches qui font les mots! Que ce sont les doigts!

Que ce sont les doigts mais tu n’utilisais plus ta fragilité que pour caresser le bassin de sa chair rouge à lui, transportée dans ton lit d’épaves mouillées, le soir s’allumait de lumières éclatées pour le jour que tu repoussais et que tu poussais le jour, que tu poussais encore les hanches et t’excitais tout le corps malgré moi; soudain mes draps vides s’animaient de formes signifiantes qui me parlaient par les signes d’une nostalgie et tu ne parlais plus, sourde de mon enfance tu ne me parlais plus, tu te taisais les mains tandis que les draps m’effrayaient, comme les grains du plancher se détachaient du sol pour se multiplier devant mes yeux, ces taches de couleurs sur les draps n’étaient plus que les symboles d’un langage tout à fait différent de nos danses digitales que tu n’y comprends rien lorsque je te parle de ce réel qui me parle d’angoisse, de ces formes qui dansent à la manière de tes doigts d’autrefois qui prenaient d’assaut le paysage pour le raconter : maintenant ce sont les paysages qui s’animent pour me parler de l’étrangeté des lignes que je ne peux expliquer que par la destruction de ma syntaxe!

Fille sourde, que je te voulais encore, enfin que tu fixes encore ce paysage et que tu le noues une fois pour toutes non je ne suis pas sourd, parfum de glace que je t’entends mentir et fondre douce par le dégel des champs de blé non je ne suis pas sourd, j’ai bien entendu le froid cesser sous la chaleur de tes hanches ce soir-là du froid qui nous a quitté le malheur que j’aimais tant l’odeur qui me rappelait cette époque glaciaire de notre langage réconfortant avant que tes hanches ne viennent tout gâcher par leur chaleur féline et je ne suis pas sourd, j’ai bien entendu les cris de chattes qui m’ont éloigné et je ne suis pas sourd, je me suis bien entendu te dire que depuis le déhanchement de tes excitations, les branches des arbres sont toutes devenues des doigts qui me parlent d’un réel en crise et me paniquent l’angoisse non je ne suis pas sourd, mais j’ai prié, que ce blé d’hiver échappe ce qu’il pousse par quelques figures syntaxiques sous mes yeux les tiges des mots écorchés par les ongles que tu n’as plus pour moi, ce blé qui parvient à se faire un mot de ce que je ne veux pas voir et non, je ne suis pas sourd, mais j’ai prié, chaque jour le son des cloches, que le froid me rende aveugle…

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