16 juillet 2010

Vous avez des êtres humains

Vous avez de pauvres êtres humains tous jaunes dans des atmosphères différentes ; des têtes humaines tantôt brunes, marrons, écarlates, blanches ou carrément beiges et ces têtes, elles avancent au même rythme, par ondulations, que le fleuve que vous connaissez. Vous avez ces pauvres humains qui deviennent verts lorsqu’ils sont en présence de quelque chose qui pue, et vous les avez qui vomissent sur la tourbe ou la haie qui sont vertes elles aussi.

Vous avez vos êtres humains tous jaunes qui avancent avec leurs petits sacs à dos bleutés sous le soleil radieux, et leurs têtes encerclées par la forêt et les singes. Vous riez de vos humains et espérez que les singes leur « pitchent des pinotes ». Vous criez « pitche- lui une pinote » et en disant cela, vous avez craché votre verre d’eau parce que vous étiez mort de rire. 

Vos êtres humains sont ocres dans l’ombre du soleil et poursuivent leur chemin sous les branches. Ils marchent droits comme des pieds de poules. Leurs dos n’ont aucune courbe. Tout est de lignes et de quadrillés. Vous avez un humain avec les cheveux très ébouriffés. Vous trouvez qu’il a beaucoup de cheveux, alors vous l’appelez Peruk. Vous lui avez inventé un nom africain parce que sa peau est noire. Vous trouvez que votre raisonnement est juste et il n’y a personne pour vous contredire.

C’est une minuscule colonie humaine. Une série de faciès que vous connaissez par coeur. Leur couleur-peau vous rappelle les grains du sable. Il sont à peu près dix. Certains ont des vêtements en lambeaux, d’autres portent un drap sur la tête ; certains aiment manger de l’herbe et d’autres, plus étranges ceux-là, s’arrêtent tous les dix minutes et se mettent à genoux. Ils prient pour un cheval. Ils sont fatigués et ne tiennent plus sur leurs jambes.

Vos humains marchent toute leur vie durant. Ils passent par tous les pays mais n’en visitent aucun. Ils y passent comme un coup de vent, sans porter attention aux autres humains qu’ils croisent. 

Vos humains ne pensent pas, ils marchent. Parfois, vous vous dites que vous auriez préféré avoir des humains penseurs, mais vous avez écopé des marcheurs et vous faites avec. Vous les ridiculisez souvent. Vous les traitez de singes, d’aveugles, d’ignorants. À force de les voir marcher comme s’ils avaient un but, alors qu’en réalité, ils n’en ont aucun, l’envie de les tuer vous prend. Vous ragez en silence devant le spectacle de vos humains fatigués et jaunes. 

Vous avez envie de leur tendre un piège : vous voulez profiter de votre logique et de vos bras pour creuser un trou à l’endroit où ils passeront deux jours plus tard. Vous estimez avec exactitude leur destination car ils marchent toujours tout droit. Mais juste avant que le premier de vos humains mette le pied sur le foin qui recouvre votre trou, vous le faites dévier de sa trajectoire. Par pitié. 

Vous avez pitié de leurs yeux vides et de leurs croyances. Vous ne voulez pas détruire la totalité de vos humains, alors vous en tuez un puis gardez les autres pour plus tard. Vous décidez de tuer Peruk. Un singe l’agresse violemment, lui tire les cheveux et lui croque le cou en lui tirant les cheveux. Couché au sol, Peruk saigne beaucoup et vous le laissez mourir. Vos êtres humains passent à côté de lui comme s’il n’y avait rien et vous admirez leur indifférence. Vous vous sentez Diable, vous avez l’impression d’avoir nourri votre rage et qu’elle ne vous perturbera plus jamais.

Vous avez une droite ligne de têtes humaines vivantes et jaunes vives, brillante dans l’atmosphère gris du temps qui est devenu pluvieux. Leurs têtes n’ont pas d’émotion. Elles sont tristes, ou alors elles ne savent pas être joyeuses. Vous avez remarqué que le deuxième de votre lignée est plus triste que les autres ; et que de ce fait, il s’agenouille plus souvent que les autres pour prier. Vous avez appelé cet humain Tristan, parce que le nom contient le mot trist, et vous riez extrêmement lorsque vous prononcez son nom. 

Même si Trist s’arrête souvent pour prier, il regagne toujours le retard causé par ses prières en courant. Il demeure ainsi toujours deuxième. Son visage est éreinté. Il est épuisé par la course. Vous vous demandez à quoi ressemblerait sa réaction si, pendant qu’il priait, une tête d’âne apparaissait sous ses genoux. Alors vous faites apparaître une tête d’âne là où vous trouvez ça drôle. 

Trist se relève et crie de joie. Il tente de déterrer l’âne dont il ne voit que la tête. Il le déterre et vos autres humains le dépasse comme si rien ne se passait. Une fois l’âne déterré, Trist réalise que l’animal est mort. Il réalise aussi qu’il est dernier de la file. Il semble faire une crise, ou une dépression, vous ne savez pas ; alors vous le tuez. 

Une pierre assomme Trist et vous sentez que votre rage se nourrit, mais qu’elle ne diminue pas. Vous êtes obnubilé par la démarche de l’humain qui domine la file. Vous êtes impressionné par son leadership et vous l’appelez, en riant, Winner. Vous prenez un jeu de carte et vous lui lancer l’as de pique en pleine figure. 

Winner s’arrête, bogué. Vous le tuez avec un éclair parce que vous avez décidé que le temps pluvieux était devenu orageux. 

De la même manière, vous en tuez six autres, de sortes qu’il ne vous en reste plus qu’un. Un seul humain marchant sereinement sous la pluie honnête que vous déversez avec parcimonie. Vous nommez le survivant Mille-feuille-au-chocolat. Cela vous fait rire. 

Votre humain est gros. Il a beaucoup de ventre et ne marche pas très vite. Vous avez l’impression d’avoir pigé le pire humain de tous les humains de toute la planète. Vous ragez, car vous ne comprenez pas pourquoi, de tous les humains, il fallait que vous tombiez sur celui-là.

Vous le tuez. Et vous ne vous souvenez plus de quelle façon vous l’avez tué. Mais vous savez que désormais, vous n’avez plus d’humains. Ils sont morts par votre faute et vous faites semblant, toujours en riant, que vous savez vous débrouiller seul.

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