2 juillet 2010

AMOUR ESPADON

Je me noie dans l’océan qui nous sépare, toi et moi. Personne n’entend mes cris. Personne n’entend les vagues claquer sur mon palais, personne ne les entend se gonfler dans mon oesophage. 

La vie, que je croise parfois, prend la forme de dauphins sourds, de requins qui profitent de ma noyade pour me mordre les oreilles, de baleines qui m’écrasent et de loutres qui n’existent pas. Je respire par bouillons, entre l’inconscience et l’odeur du homard que nous avions tué ensemble dans la marmite. 

Lorsque l’occasion se présente, j’entre dans d’énormes bulles d’air rejetées par les volcans aquatiques. J’y trouve le calme et l’oxygène, mais cet instant de repos ne dure jamais longtemps. Mes énormes bulles chaudes défient les lois de la physique et redescendent vers le fond plutôt que de remonter à la surface. Je ne peux jamais m’y endormir tout à fait, car la noirceur profonde vers laquelle ces prisons aérées me guident m’effraie. Je préfère encore la fatigue. Et je profite de mon insomnie pour guetter le passage de l’espadon.

Chaque fois qu’il passe, le bec de mon espadon crève ma bulle. Mon calme se dissipe alors dans les algues et, dans la nervosité des coraux roses, je me débats pour remonter à la surface de l’eau. Je nage comme si une épave allait me tomber dessus.

Je parviens à sortir ma tête de l’eau, mais je suis toujours trop épuisé pour maintenir la nage. J’emplis mes yeux des rayons du soleil et me laisse descendre, bras ouverts. Je pense à toi et à ta terrible absence. Je croise encore la vie, à qui je ne parle pas, et j’entre dans une nouvelle bulle. 

L’oxygène replace mes idées. Je sors mon carnet pour le faire sécher. Je tente de relire mes phrases d’hier, mais la seule phrase lisible me dit que tout ce qui s'écrit se perd. Enfin, sitôt que je commence à me remettre sur pieds, la peur de ne pas savoir à quelle profondeur je me situe fait trembler mes genoux. 

J’espère la venue de mon espadon. Il faut qu’il perce ma bulle, et que je quitte mon confort, si je veux un jour te retrouver.

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