24 juin 2010

Recette pour peindre ce soir

*** Première étape ***

Dans un champ, un enfant qui cueillait des marguerites pour la fête des mères. Une mère qui versait de l’eau dans un vase. Un fleuriste qui n’a pas vendu de fleurs ce jour-là. Un mari qui n’a pas pu acheter de fleurs à sa femme parce que le fleuriste était mort.

Le cousin du fleuriste qui, un soir, a réussi à avoir sa bière avant moi au bar. Son frère, idiot, qui s’amusait à mettre ses doigts dans mon nez. Et sa mère, soûle, qui dansait les yeux fermés sur une chanson que les gens normaux appellent le silence. 

La mère de la tante du fleuriste, dans sa chaise roulante, qui a fait exprès d’éteindre sa cigarette sur une de mes toiles. Le propriétaire du bar qui m’a traité de fou. Et les bestioles qui m’entouraient.

Tous les enfants qui ont voulu jouer à roche-papier-ciseau avec moi. Tous ceux qui m’ont semblé trop attirants et sur lesquels j’ai déversé mon sperme, une petite fille qui avait l’air d’une salope miniature et un policier qui m’a tiré dessus.

*** Deuxième étape ***

Beaucoup de gens me demandent comment je fais pour peindre autant de tableaux par semaine. Je leur répond : si vous voulez être comme moi un peintre tourmenté et prolifique, vous devez bien sûr faire un peu de prison, mais vous devez d’abord posséder l’inspiration. Et pour ce faire, vous devez suivre certaines règles.

1. Pour commencer, il est primordial de prendre conscience des couleurs qui vous entourent. Lorsque vous entrez à la maison, léchez votre porte d’entrée : si elle est bleue, vous aurez le sentiment de posséder le bleu. Cela vous permettra de ne plus jamais hésiter lorsque vient le temps de peindre le ciel. Sérieusement, je connais plusieurs artistes qui, grâce à leur porte d’entrée, ont créé des ciels plus bleus que nature. Ceci dit, si votre porte d’entrée est brune, je vous conseille de la peindre en bleu. 

2. Si vous désirez réellement l’inspiration, vous devez absolument mixer différentes couleurs dans votre nourriture. Je vous conseille de manger des hamburgers et des hot-dogs. En y mettant de la relish, vous mêlerez le rouge, le jaune et le vert.
Note : Ce n’est pas nécessaire d’ajouter des oignons rouges, le ketchup fera le travail.

3. Portez attention aux couleurs des gens que vous côtoyez. S’ils ont la peau brune, mettez-y un peu d’orange à l’aide de peinture ; s’ils ont la peau jaune, mettez-y un peu de rouge à l’aide d’une arme ; s’ils ont la peau blanche, mettez-y un hamburger que vous aurez préalablement mastiqué.

4. Finalement, vous ne posséderez jamais l’inspiration sans avoir d’abord mangé un pinceau. C’est comme ça, il n’y a rien de plus à faire. Je vous conseille de prendre un petit pinceau et de le découper en plusieurs minuscules morceaux.

*** Troisième étape ***

Maintenant que vous possédez l’inspiration, vous n’avez plus aucune hésitation devant la toile blanche. Vous avez envie de sauter sur la toile et d’y peindre n’importe quoi, mais attention, on ne crée pas n’importe comment. Pour créer quelque chose de valable, il vous faut du talent. Et je vous conseille de ne pas toucher à la toile avant de posséder ce talent. 

Avant d’amorcer le tableau, vous devez vous accroupir au sol. Mettez-vous dans la même position que vous auriez si vous aviez terriblement peur. Cette position, particulièrement si vous posez les mains sur votre tête, aidera votre cerveau à développer le talent que vous cherchez. Il est conseillé, lorsque vous adoptez cette position, de frapper violemment votre crâne avec les poings. Cela fera de votre talent un talent plus solide que celui des autres.

Ensuite, pour un talent impeccable, vous devez aiguiser vos doigts. Pour ce faire, vous devez peler vos doigts de sorte que la chair soit intacte aux jointures, mais inexistante au niveau de l’ongle. L’épluche-patate fera du bon travail, mais l’aiguisage sera beaucoup plus rapide si vous le faites au couteau.

Si vos doigts saignent après cette opération, c’est normal. Ne vous affolez pas. Dans un petit gobelet, recueillez le sang que vous perdez. Il vous sera utile pour plus tard.

Enfin, vous possédez presque le talent, il ne vous reste plus qu’à boire et à fumer. L’alcool fera définitivement naître le talent que vous n’aviez pas, et la cigarette le tiendra en vie.

*** Quatrième partie ***

Il ne vous manque plus qu’une idée pour peindre. Vous ne pouvez pas commencer à colorer la toile sans d’abord avoir une idée précise de ce que voulez faire. C’est ici que le petit gobelet de sang que vous avez rempli plus tôt vous servira : versez le aléatoirement sur la toile et tentez d’en faire jaillir une idée.

Une fois que cela est fait, vous remarquerez qu’aucune idée n’a jailli et que vous ne savez toujours pas quoi peindre. La raison à cela est simple : votre sang est sur la toile, mais le sang des autres n’y est pas. Soudainement, vous avez vous-mêmes l’idée d’une toile intitulée « rouge sur blanc ». Et si vous en avez eu l’idée, c’est qu’effectivement vous avez eu de l’inspiration et du talent. Vous devez recueillir le sang des autres et l’utiliser comme couleur sur votre toile. Il s’agira de votre premier chef-d’oeuvre.

Une fois votre premier chef-d’oeuvre complété, vous serez bien fiers de votre travail. Vous vous souviendrez, je l’espère, des leçons que je vous ai données. Vous voudrez me payez pour l’aide que je vous ai fournie, mais je refuserai votre argent. La seule chose que j’exige de votre part, c’est que vous répondiez par écrit à mes conseils.

J’exige de votre part une lettre construite de la même façon que celle que je vous écris en ce moment. Je veux d’abord que vous fassiez l’énumération des personnes que vous avez tuées, puis que vous m’écriviez de quelles façons vous êtes parvenus à trouver l’inspiration, le talent et l’idée. 

Merci d’avance.

Aucun commentaire: