24 juin 2010

Le mystérieux meurtre de Chacale Parme-Stepard

- Écoutez-moi bien. Je vais répéter clairement la question : un homme que nous avons interrogé hier nous a dit que Monsieur Harnet savait qui avait tué Chacale Parme-Stepard. Vous êtes bien Monsieur Harnet, ne l’êtes-vous pas? 

- Non. Je veux dire oui, je ne le ne suis. Je m’appelle Monsieur Harnet, mais non, je ne suis pas au courant de qui a tué Chacale Parme-Stepard. Je ne sais pas. Je vous dis que je ne le sais pas...

- Vous ne savez pas si vous êtes au courant? 

- Oui. Oui je le sais, que non, je ne suis pas au courant! 

- Que vous fait-il savoir que vous n’êtes pas au courant?

- Quoi? Que me fait-il savoir que... C’est ridicule!

- Bon. Puisque vous refusez de nous dire qui a tué Chacale Parme-Stepard, vous n’aurez pas objection à ce que nous employions la manière forte, Monsieur Harnet? 

- Non, j’ai une objection... Oui! J’aurai objection!... 

- Monsieur Harnet, vous n’êtes pas clair dans vos propos. Êtes vous capable de répondre oui ou non sans répondre les deux en même temps?

- Je ne sais pas?

Mon interrogateur a pris un air navré. Il a penché la tête vers le sol en serrant les lèvres. Puis il a demandé qu’on lui apporte les oignons verts. 

- Qu’on lui mette des oignons verts dans le nez! a-t-il crié à deux de ses soldats.

Ces derniers, tenant dans leurs mains de longues et fines échalotes vertes, ont eu un court regard de compassion avant de me les planter dans les narines. L’odeur m’a rappelé l’odeur de ma voisine qui, dans son jardin, faisait pousser des rangées d’échalotes. Je garde d’elle un très mauvais souvenir. Le jour où je me suis présenté à elle, je lui ai demandé si ses échalotes poussaient bien ; ce à quoi elle a répondu qu’il ne s’agissait pas d’échalotes, mais bien d’oignons verts. 

Je l’ai trouvée emmerdante, mais belle. Je me suis dit qu’elle avait du caractère. Or, chaque fois que je l’invitais à dîner, elle déclinait mon invitation. Je n’ai pas eu le choix de me mettre à la détester. Et depuis, son odeur d’échalote me chatouille les narines et me fait éternuer sans retenue. 

- Vous osez éternué sur mes oignons verts! a dit l’interrogateur. Soldats, enfoncez-les plus profondément! 

Les soldats, très obéissants, les ont enfoncés plus profondément. En moins de deux, j’avais le nez qui saignait et j’ai commencé à pleurer véritablement.

- Vous osez saigner sur mes oignons verts! a dit l’interrogateur. Soldats, faites-lui manger mes oignons verts!

Les deux soldats ont sorti chacun une échalote de mon nez. Ils ont tendu ces légumes enduits de sang et de mucus devant mes lèvres et j’ai sorti la langue pour d’abord les lécher. Ma langue n’a même pas eu le temps de toucher une échalote que, déjà, les légumes étaient enfoncés tout au fond de ma gorge. J’ai toussé, espérant tout recracher pour ne pas mourir étouffé. Mais voyant que les deux soldats avaient pour ambition de m’étouffer, je me suis contraint de tout avaler sans me débattre, et sans mastiquer. Une fois les échalotes avalées, je ne pleurais plus : je sanglotais. 

- Et maintenant, Monsieur Harnet, allez-vous nous aider? Dites-vous bien une chose : nous n’hésiterons pas à vous tuer pour découvrir qui a tué Chacale Prame-Stepard.

Je ne savais pas qui était cet interrogateur. Je ne savais pas ce qu’il faisait chez moi. Je trouvais absurde le fait que l’interrogateur ait des soldats à son service et je trouvais encore plus absurde le nom du mort pour qui nous cherchions un assassin. 

Soudainement, j’ai eu peur. J’ai eu peur que tout cela ne soit que le résultat de mon imagination malade. J’ai eu peur d’avoir tout inventé, peur d’être schizophrène, oui, et d’avoir créer l’interrogateur et ses soldats. J’avoue avoir agi en lâche pour me sortir de ce cauchemar le plus rapidement possible. 

- Oui, ai-je répondu clairement. D’accord, je vais vous aider...

L’interrogateur a déposé sa caisse d’échalotes par terre. Assis sur sa chaise à roulettes, il a roulé vers moi et a demandé à ses soldats de s’écarter.

- Vous savez quelque chose, Monsieur Harnet... Dites.

- Si je vous aide, n’allez-vous pas refuser de me promettre de ne plus jamais venir m’interroger au sujet de Parme-Stepart?

- Non, bien sûr que oui. Que non, dites! 

- J’ai entendu dire que Mademoiselle Clandres, celle qui habite juste à côté, savait qui a tué Chacale Parme-Stepard... 

L’interrogateur n’a pas mis de temps à débarrasser le salon de toutes ses affaires. Ses soldats, transportant des dizaines de caisses d’échalotes, ont traversé chez la voisine. L’oreille collée au mur de mon salon, j’écoutais le brouhaha d’à côté. L’interrogateur se choquait : 

- Ce que vous nous dites, Mademoiselle Clandres, c’est que vous n’osez pas savoir qui a tué Chacale Prame-Stepard.

- Non! hurlait-elle. Je veux dire que je ne veux pas dire que je ne sais pas ce que je ne sais pas!... Je ne comprends pas vos questions et je ne veux pas les comprendre. Sortez de chez moi. Je n’ai rien à vous répondre.

J’ai décollé ma tête du mur et j’ai pensé : les réponses de ma voisine sont pires que les miennes ; ils ne tarderont pas à sortir les échalotes... En effet, le lendemain matin, tout était devenu très calme, et en dedans comme en dehors, je sentais ma tête reposée. Dans le journal, un article titrait : « UNE FEMME ÉTOUFFÉE AVEC DES ÉCHALOTES ».

Par la fenêtre de la cour arrière, j’ai regardé le potager de ma voisine avec un sourire victorieux. À voix haute, j’ai osé dire : « maintenant, tu peux t’étouffer avec tes oignons verts... »

Aucun commentaire: