8 février 2010

Je déteste les rectos


Tu dois te demander pourquoi ce titre, et tu dois surtout te demander pourquoi je te tutoie. Comme tu peux voir, je me suis remis à écrire sur papier. Le stylo contre la surface brute. La surface véritable. Je ne veux pas faire de jaloux, mais j’ai pris le crayon. J’ai fait suivre mes mots. Et la première constatation à laquelle je suis arrivé est que ces mots écrits sur papier perdureront bien plus longtemps encore que ceux écrits sur n’importe quel blog, n’importe quel site. Et la deuxième constatation a été celle-là : par écrit, il n’y a pas de retour en arrière, il n’y a que des rattrapages. Le flot des mots glissent dans un présent certain, rien n’est totalement effacé. À chaque phrase mal dite, en voilà deux, trois ou quatre mieux faites. Et parmi ces phrases, il revient au lecteur de faire son choix.

L’espace des choix m’a gagné. C’est pourquoi aujourd’hui j’écris sur papier. Je devais absolument le faire, car sinon, comment pourrais-je me relire dans dix ans? 

En plus, j’ai la certitude que, si je fais état de mes émotions présentes, mon moi-plus-vieux pourra en faire des merveilles. Mon moi-plus-vieux saura réorganiser mes émotions présentes pour en faire un personnage, une nouvelle ou un roman. Et chaque phrase que je lui donne, je me la donne à mon moi de plus tard.

*

Je ris souvent. Je me sens heureux. Je n’ai rien à foutre de ce que je dis, et je ne sais pas si c’est l’alcool qui m’a appris cela, mais je m’amuse plus que jamais à déconner dans l’air. Sobre ou à jeun, je dévale les rues en chantant, je m’amuse à faire rire les caissières à l’épicerie, je lance des répliques absurdes et j’ai le sourire aux lèvres. Je me sens vivre à la moindre connerie que je lance. Comme si demain n’existait pas. Je me fous des lendemains. Même si cette réflexion a ses dangers, je me sens capable de détruire mon présent par mes mots et actes. Rien qu’en étant moi-même. Comme si j’étais le héros de ma mort.

Je sais que, pour toi, je suis un personnage en soi tellement je suis loin de toi. Mais autrefois, j’étais toi. Et tu étais moi, il n’y a pas si longtemps de cela...

*

Je t’imagine en train me lire, tu dois bien rigoler en silence. Tu dois te dire que je ne sais pas ce que je dis mais que je sors parfois de jolies et bonnes phrases que tu gardes, cachées dans ta petite valise laide. Pourquoi t’es-tu acheté cette petite valise laide, moi-plus-vieux? Tu devrais faire attention aux apparences. Tu sais, les couleurs de ta cuisine ou de ta valise ne veulent rien dire. Mais celles que tu poses sur une toile, sur un bout de papier, ou simplement à l’encre sur ta paume... 

Mon moi-plus-vieux, tu dois bien avoir trente ans alors que tu lis ceci... Et pourtant, j’ai toujours l’impression d’en avoir beaucoup à t’apprendre. Je t’imagine, plongé en pleine marginalité. Tu adores les femmes rebelles. Tu crois que les quelques dessins qui te restent de ton adolescence feront de toi un parfait amoureux pour elles? Tu crois que ce que j’ai écrit aujourd’hui illuminera les yeux de ta petite révolutionnaire? Pauvre riche! Tu as fait des mauvais choix, et si tu me relis aujourd’hui, c’est bien parce que tu avoues tes erreurs. Et si tu te relis, c’est aussi parce que tu regrettes tes déviances qui datent d’après que j’aie écrit cela. 

Tu n’as pas suivi tes premiers rêves. Je ne les ai pas suivis. Tu voulais être écrivain. Je ne l’ai pas été. Et je demande, vieux-moi, m’en veux-tu ou en veux-tu à toi-même? À toi-même, certainement. Tu n’as pas accompli mes voeux les plus chers. Tu n’as pas même accompli les tiens les plus chers. Tu te relis aujourd’hui et tu cherches dans ce cahier un personnage, une idée, une phrase qui pourrait te lancer sur l’écriture d’un nouveau roman. 

Ne cherche plus. Mais moque-toi plutôt de la vie et apprends à en rire. Redeviens enfant. C’est le seul conseil que je puisse te donner, et le seul conseil qui puisse me sauver. Si tu relis ceci, mon vieux-moi, je t’en prie. Souviens-toi d’une époque où tu voulais vivre. Ne te suicide pas...

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