4 février 2014

Volière

Et je retrouve mes mots comme dans un dictionnaire que j’aurais écrit il y a longtemps de ça quand j’avais cent ans et que je me faisais croire que c’était possible de naître avant que d’être né. Certains des mots ont été marqués en jaune, souvenir d’une couleur qui n’appelle plus à rien; d’autres ont été biffés en vert; d’autres encore, soulignés par un trait rouge qui en cache la définition, me remémorent une peine pour laquelle j’ai dû chercher trente fois le mot volière.

De ce mot volière encerclé à l’encre bleue s’élance une flèche qui de page en page rejoint un mot et puis un autre, cela comme les étoiles d’une constellation qu’il faut relier sur un plan astronomique. Je tourne les pages du dictionnaire et y trouve ici et là le début d’une histoire que j’avais achevée mais dont la fin m’échappe encore; ici, là, la fin d’une idée dont j’avais raté l’invention. Plus je tourne, plus je me vois étourdie l’envolée des poissons au-dessus des chaloupes, dans la gueule du temps que j’ai provoqué, le piège des mots et de leur frayeur. Il y a dans les mots l’horreur et la peur, dans les mots le labyrinthe et les chemins inextricables, le verbe et sa proie, le sujet et son âme.

Dans ce dictionnaire, je recommence à défricher mes terres abattues. Je marque au crayon rouge les mots que j’utilise et m’assure comme un Petit Poucet de ne pas revenir demain sur mes propres pas. Il faudrait, du mot volière, tracer une autre flèche qui mènerait à la fin. Je tourne les pages. Furie. Folie. Les pages comme des ailes de pigeons dans un champ de croûtons. M’y voilà sans que jamais mon crayon n’ait quitté sa flèche, sa cible : « Fin. » Point d’arrêt. Limite d’un phénomène dans le temps. Je referme l’ampleur de mes mots comme un cartable décevant. Un cartable d’images qui n’aboutira jamais au sens que je lui [en] veux. Ma seule option, à présent, demeure dans le geste. Fermer le dictionnaire. Ne plus l’ouvrir. Car si je le relisais un jour, par quelle idée imbécile encore pourrais-je me justifier de dire que de mots vous en avez déjà lus de plus abstraits? Voilà ce que j’ai fait. J’ai fermé les mots, attendu que les voix s’appellent d’elles-mêmes.

***

- Veux-tu aller jouer dehors? et jamais je n’aurais cru, à l’âge que nous avions, quelqu’un capable de me poser cette question-là de vive voix. On va patiner! Je vais t’apprendre si tu sais pas!

Non seulement je ne savais pas, je ne savais plus; je n’y avais encore jamais pensé.

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