14 novembre 2011

Ma littérature

Un papillon est né dans mon cerveau. Aucune caméra ne pourrait le voir. Le cinéma ne pourrait expliquer la naissance de ce papillon dont les ailes ne peuvent êtres décrites autrement que par le biais de mes mots, mauves; la couleur de ses ailes, illisible si ce n’était de la virgule précédant le mot mauves, dont je ne ferai aucune histoire, à peine vous la lirez qu’elle sera renversée par votre impression de ne rien lire.



Dans ce texte, vous ne trouverez pas ce que vous rêvez de savoir. Vous n’y trouverez pas le nom du premier homme à avoir marché sur la lune, la façon dont les abeilles se reproduisent, et si les ours sont prêts à vendre leur peau en échange d’une gorgée de miel. Non. Je vous parle d’un papillon que j’ai éventré, dans mon cerveau; la poudre de ses ailes s’est dispersée comme poussière et interfèrent présentement avec quelques nerfs nerveux, dont celui qui prévient les répétitions et les pléonasmes du genre « nerfs nerveux ».



Mon papillon n’est pas l’anecdote d’un roman plus grand que moi. Si j’avais voulu écrire un roman, j’aurais raconté l’anecdote que j’avais écrite, il y a longtemps de ça, dans laquelle un couteau s’enfonçait dans le mamelon d’une femme à qui j’avais préalablement fait l’amour, après l’avoir déshabillée. Elle criait tant et tant que de ses yeux pleurait un étang, et plus elle criait, plus le couteau s’enfonçait, du mamelon jusqu’au lait, afin qu’à jamais les mots tant et étang ne se parlent.



La vive anecdote réside dans cet usage du mot « couteau », car à cette époque où je fouillais les dictionnaires à la recherche de synonymes exprimant mieux que moi ce que je voulais dire, à l’instar du mot couteau, j’avais cru que, par l’exotisme recherché de son k, le mot kirpan coupait mieux que le couteau. Je ne me doutais pas que la connotation religieuse de l’objet faisait de son détenteur un Sikh. Enfin, du mamelon au couteau, seul le mot kirpan créa un discours chez mes lecteurs, ce qui, à mon grand désespoir, me poussa à prendre mes distances vis-à-vis des mots inventés par les Sikhs. Aujourd’hui, c’est d’autant plus décevant que chaque fois que je raconte cette anecdote, mes verbes prennent la forme du passé simple.



Le papillon, quant à lui, n’est ni une anecdote, ni une histoire. Il n’existe que par le bon vouloir de mon vocabulaire qui décide, oui ou non, d’apposer un mot et puis un autre, ne créant jamais de fissures, jamais d’incohérences, à moins toutefois que l’envie me prenne de dire qu’il existe en Asie un papillon sosie du mien. Les cinéastes seraient les premiers à rire de moi s’ils trouvaient un tel papillon, mauve, à partir duquel ils réaliseraient un film où mon nom apparaîtrait au générique. Cette possibilité peut être drôle, peut-être, car souvent l’humour travaille de possibilités en possibilités, je m’en détache toutefois car si mon objectif était de faire rire, je vous aurait raconté la blague du papillon qui avait peint ses ailes en bleu.



Ce papillon demanda à la première chenille qu’il croisa :

- Pourquoi n’as-tu pas d’ailes?

- Parce que je n’en ai pas encore, dit-elle. Et toi, pourquoi tes ailes sont-elles bleues?

- Parce que, des ailes bleues, je n’en ai pas encore...



Mon papillon n’est pas une blague. Il se loge sans humour dans la tête de ceux qui le lisent. Il aime communiquer avec eux avant de déféquer sa ridicule réalité dans leurs méninges. Et ça, ce n’est ni drôle ni absurde. Si j’avais voulu écrire quelque chose d’absurde, j’aurais dit absourde, et puis j’aurais dit absoudre. Mais je ne l’ai pas fait.



Mon papillon, c’est ma littérature. Pour rien au monde je n’accepterais qu’un cinéaste me vole mes ailes. Le jour où je verrai dans ma télé l’exacte réplique de mon papillon, je vous jure qu’ils ravaleront leurs images, ces foutus cinéastes qui, incapables de puiser leurs idées à même leur art, viennent jouer dans le mien. Mon texte ne peut être servi que par l’écriture. Je le dis que la littérature n’aura de définition que le jour où ses écrivains commenceront à écrire des textes qu’aucune autre forme d’art ne pourra s’approprier. Tout comme le peintre s’est affranchi de la photographie par des techniques exclusives à la peinture, ce qu’il nous faut, c’est une distanciation vis-à-vis de la télévision monstre pour laquelle, trop souvent, nos auteurs sont prêts à vendre leur littérature.

Aucun commentaire: