14 novembre 2011

Ces choses que je veux sans le vouloir

Je ne veux pas mourir. Mais à force de ne pas vouloir la mort, parfois, je la veux. Pour faire changement. Parce que la vie m’ennuie. Parce que j’ai envie de dire une phrase différente que « je ne veux pas mourir ». Vouloir une chose que je ne veux pas, c’est ma façon de me révolter. D’autres brisent des vitres, moi je change mon fusil d’épaule. Mes plus grands moments de révolte sont ceux où je décide tout à coup de détester ce que j’aimais : aux zèbres je dis que je préfère les chevaux, et aux chevaux je dis le contraire. Je ne me contredis pas, seulement je change d’idée. Rapidement et souvent. Aussi souvent qu’un sabot touche terre puis s’en éloigne pour se gratter le derrière. Je veux mourir. Comme ouvrir une fenêtre et respirer du nouvel air.



Pour se suicider, il y a un âge à respecter. On ne peut pas se suicider à deux ans. Les enfants qui meurent à deux ans, même lorsqu’ils s’étouffent avec une bille, on ne dit jamais qu’ils se suicident. On dit qu’ils meurent. Au mieux, on dit qu’ils n’ont jamais vraiment existé. On qu’ils sont des anges. Maman n’a jamais dit que j’étais un ange. Elle disait : sois un ange et brosse-toi les dents. Alors je me les brossais, avec mes doigts, sans eau ni dentifrice. Ça ne fait pas de moi un ange. Pour être un ange, il me faudrait soit mourir, soit de l’eau et du dentifrice.



Le suicide me fascine. Le goût de la mort m’appelle. Comme la crème glacée en hiver. Elle m’envoûte, mais il fait si froid que je n’ose pas y goûter. Quand il fait froid, je m’empresse de changer d’idée : je me dis qu’il fait chaud. Aussitôt, la mort devient chaude elle aussi. Comme une soupe l’été. Et, à moins d’être malade, la soupe l’été, ça ne se mange pas.



Je ne veux pas mourir. Je veux pouvoir mourir quand je le veux et pouvoir ne pas mourir quand bon me semble : profiter de ma liberté tout en sachant que je n’en ai pas, choisir d’aimer le brocoli et le faire bouillir, puis choisir de ne plus l’aimer. Le jeter à la poubelle. Le regarder ramollir au fond des ordures, puis décider de le manger. Le déguster. Le vomir dans la cuvette et tirer la chasse d’eau. Choisir de regretter mon choix : remonter le temps et sortir le brocoli de la cuvette, le manger et le digérer. Puis le déféquer dans la cuvette avant de tirer la chasse d’eau une dernière fois.



Je ne veux pas mourir. Je veux être indécis sans jamais avoir tort. Je veux hésiter, et cela toute ma vie. Entre jambon et poulet, je ne veux pas donner de réponse. À la question « que mange-t-on ce soir? », je veux répondre jambet ou poulon.



Si un jour je choisissais de me marier à une femme, j’aimerais qu’elle soit un homme. Un homme comme moi, de la même taille que moi. Je pourrais porter ses vêtements usés pour repeindre les murs de l’appartement. La nuit, par contre, il serait une femme. Je lui ferais l’amour, après quoi elle accoucherait d’enfants qui seraient un jour garçons, un jour filles. Les jours où ils se disputeraient, je déciderais de ne plus les aimer. Je les mettrais à la porte, tout simplement, sous la pluie, jusqu’à ce qu’ils décident de redevenir gentils. Alors je les inviterais à rentrer. Dans le salon ou la cuisine, nous mangerions l’été de la crème glacée. Et l’hiver de la soupe.



Si un jour je trompais ma femme avec une gardienne de moutons, je lui dirais que je la préfère mille fois à cette gardienne. À la gardienne, je dirais que c’est elle que j’aime. Je ne veux pas mourir. Je veux des enfants avant de mourir. Je ne veux pas que mes enfants aiment le chocolat. Je veux qu’ils en mangent à Pâques. Mais la semaine, qu’ils mangent des brocolis. Le week-end, je veux manger du pop-corn. Je veux regarder un film que mes enfants voudront regarder. Je ne veux pas de télé. Je veux que mes enfants étudient. Je ne veux pas qu’ils aient de plaisir. Je veux mourir. Je veux que mes enfants veulent mourir. Je veux qu’ils meurent à l’âge de deux ans.



Je veux qu’ils soient des anges.

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