18 avril 2011

Un crabe qui s'appelait taupe

Je me souviens d’une peluche que j’avais, chez moi, peluche qui n’avait pas de nom parce que, en ce temps-là où je bavais dessus, je ne savais pas parlé. Et je ne sais pas si tu as déjà essayé de baptiser quelque chose, mais c’est très difficile et sans mot, c’est encore plus difficile. D’abord, tu mets le nez de la peluche dans ta bouche, espérant respirer ce qu’elle respire, mais tu ne pourras jamais connaître l’odeur exacte de ta propre bouche quand elle engloutit le nez de ce que tu trouves doux.

J’avais décidé de nommer ma peluche avec ma morve plutôt qu’avec les mots. De la morve, il en coulait à profusion de mon nez, jusqu’à son nez à lui, le crabe, parce que oui, ma morve avait décidé que cette peluche était un crabe. Un crabe mauve.

Tous les crabes sont mauves. Et d’ailleurs, à peu près tout est mauve. L’intérieur de nos paupières est mauve. Et je pense que si tu ne les considères pas comme telles, c’est parce que tu ne les regardes pas assez souvent. Elles sont mauves comme les rues. Comme la pluie et la grande moitié des voitures sur les rues, dans la pluie quand il pleut mauve. Ou alors c’est moi qui suis fou. Mais si je suis fou, alors c’est toi le daltonien.

Cela dit, ce qu’il y a de plus mauve dans le monde, ce sont les taupes. Je le sais parce que, ne cherche pas; tu n’as jamais vu de taupes. Mais elles existent. Et puis, n’ont pas d’yeux.

Mon crabe était une taupe avec beaucoup de pattes, et des pinces, et une queue. Tout ça, poilu. Une langue, peut-être, visqueuse, et un nez tout aussi visqueux que le mien qui lui en mettait partout. Et ma morve continuait d’engluer l’animal que, s’il avait été réel, il m’aurait creuser une troisième narine pour se libérer de mes congestions muqueuses de bébé. Tout ça, dégueulasse.

Je regrette le temps de mon enfance. Je hais ce temps inexact où je ne savais rien nommer. Je regrette d’avoir pris des taupes pour des crabes. D’avoir cru que ce qui ne se mangeait pas se mangeait. Je ne sais pas si tu as déjà manger une taupe. Si oui, c’est toi le fou. Pas moi. Les taupes, ça ne se mange pas. Elles ne sont pas d’énormes rats. Elles sont uniques. Elles creusent comme personne. Ce sont elles qui iront trouver le centre de la terre et perdureront plus loin que les hommes, plus loin que les dinosaures. Et de toute façon, les rats non plus, ça ne se mange pas.

C’est toi le fou. C’est moi qui regrette d’avoir cru que ce qui ne pinçait pas pouvait pincer. D’avoir cru que ce qui vivait sous terre vivait sous l’eau. D’avoir tout mélangé.

Je me retrouve aujourd’hui vivant, mais toujours hésitant entre la vie ou la mort. Toujours hésitant entre ce que je suis, pourrais être ou ne suis pas. Et ça, à cause de cette peluche que je n’ai jamais baptisée autrement que par ce crabe qui s’appelait taupe.

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